Pas content ! - Mot-clé - informatologie2024-03-27T18:57:02+01:00Gibusurn:md5:d1aadfbb494e48d249c8fbe4fbd6e772DotclearDe l’intimité, de l’informatique et de la merde à se tromper de conceptsurn:md5:ad09d2ffdc8c13a827c38261fd4a0ead2018-05-22T17:47:00+02:002019-03-15T11:18:58+01:00gibusAu comptoirinformatiqueinformatologieintimiténumériquevie privée<p><img src="https://pascontent.sedrati.xyz/public/.Pavel_Vasi_ek_Sen_o_intimit__s.jpg" alt="Pavel Vašíček, Sen o intimitě, 2017" style="float:right; margin: 0 0 1em 1em;" title="Pavel Vašíček, Sen o intimitě, 2017" />« Vie privée », « numérique », ces termes ont envahi peu à peu les discussions dès que l'on évoque quoi que ce soit pour peu que cela touche de près ou de loin à l'utilisation d'Internet. Jusqu’à devenir aujourd'hui incontournables au fur et à mesure que nos pratiques, qu’elles soient sociales, amicales, amoureuses, professionnelles, administratives, économiques, révolutionnaires, etc., s'appuient sur les réseaux informatiques.</p>
<p>Cela fait des mois – qui se sont depuis accumulés en années – que je ressens le besoin d'écrire au sujet de ces deux expressions afin de clarifier le profond malaise qui me submerge dès que je les entends ou les lis. Réticent à donner une simple opinion sans étudier ces sujets en profondeur, afin d'en offrir une critique qui puisse se prétendre radicale, je me suis jusqu'ici retenu de publier le moindre billet – qui n'aurait su être qualifié autrement que « d’humeur ». Je préférais jusqu’à maintenant réagir lapidairement en interpellant les amis fautifs d'employer sans retenue ces vocables. Intuitivement, je ressentais qu’ils étaient trompeurs – défigurant les concepts qu’ils sont censés représenter – et, pour tout dire, réactionnaires et donc contre-productifs dans une optique révolutionnaire. Il aurait fallu bien des lectures et des recherches pour déconstruire, un tant soit peu sérieusement, ce que la « vie privée » et le « numérique » ont de si fallacieux.</p>
<p>L’occasion m’est cependant donnée d’aborder ces deux thèmes – sans toutefois y travailler autant que cela le mériterait – avec la tenue récente d’un <a href="https://hackingwithcare.in/2018/05/atelier-pudeur-et-chiffrement/" hreflang="fr">atelier de sensibilisation à la protection de nos intimités, organiques et numériques</a>. Ma réaction à l’annonce de cet atelier a en effet été emplie d’affects mêlés, tant de satisfaction que de déception. N’ayant pu m’y rendre, je vais essayer ici d'explorer <em>a minima</em> cette réaction affective afin de dégager – à défaut d’une base théorique solide – quelques pistes de réflexion suffisantes à une critique d’une part de la « vie privée » et du « numérique » d'autre part.</p> <h4>L’intimité contre la vie privée</h4>
<p><img src="https://pascontent.sedrati.xyz/public/.francesca_woodman_s.jpg" alt="Francesca Woodman" style="float:left; margin: 0 1em 1em 0;" title="Francesca Woodman" />La première précision que je me dois d’apporter est que je suis moi-même lié aux deux intervenants de cet atelier, Emily et Yoann, que je considère comme des amis que j’apprécie beaucoup. Je n’ai pourtant rencontré la première qu’à une seule occasion, en prélude à un apéro organisé par La Quadrature du Net, où j’ai pu bénéficier de ses massages particulièrement détendants après une période de travail ardue. Mais je garde un souvenir quasi magique de cette expérience d’abandon à la douceur de ses mains et de sa voix. Quant au second, ayant un temps été embauché par La Quadrature, j’ai pu deviser avec lui autour de bières une poignée de fois. Certainement trop peu pour que nous puissions prétendre bien nous connaître, mais suffisamment pour que je sorte à chaque fois de ces discussions avec le sentiment agréable d’avoir échangé avec quelqu’un d’aussi calme que curieux, à la bonne humeur contagieuse et à l’esprit critique stimulant.</p>
<p>Voilà, ce que je viens d’exposer là, c’est un bout, une partie, un degré d’intimité. Mais on pourrait également voir le précédent paragraphe comme l’exhibition dans l’espace public de ma propre vie privée. Ce serait une erreur ! Et l’on sent bien pourquoi à travers cet exemple. C’est que je n’ai rien dévoilé d’Emily ni de Yoann qu’ils n’aient eux-mêmes déjà rendu public dans le texte annonçant la tenue de leur atelier. D’une part, il est beaucoup moins question d’eux, en tant qu’« individus », que des liens singuliers par lesquels j’y suis attaché. D’autre part, je n’ai donné de ces liens que ce que j’ai estimé pouvoir en dire dans un texte susceptible d’être lu par quiconque ayant accès à Internet. Parler de « vie privée », plutôt que d’« intimité », à propos de cette courte présentation empêcherait de concevoir ces deux distinctions.</p>
<p>Effectivement, le concept de « vie privée » entraîne immédiatement qu’on pose celui-ci en opposition dialectique avec celui de « vie publique ». Intrinsèquement, la « vie privée » suppose que l’on sépare la vie en deux sphères bien distinctes, dont l’une serait privée et l’autre publique. On retrouve ici la bipartition de la Grèce antique entre l’<em>oikos</em>, monde de l’économie familiale et de la nécessité, et la <em>polis</em>, monde du politique et de la liberté. Mais il s’en suit déjà un jugement de valeur attribuant toute noblesse au second par rapport à la vulgarité du premier. Et la réflexion se poursuivant sur cette base rencontre alors la division sexuée fondant le patriarcat, en laissant les femmes gérer la maison tandis que les hommes s’affairent aux tâches concernant la cité. Ceci jusqu’à la scission opérée par le capitalisme, dès ses origines, entre la sphère de la production embauchant la force de travail, principalement masculine, et celle, essentiellement féminine, de la reproduction de cette même force de travail, par la procréation, la nourriture, le repos, etc.</p>
<p>Certes, ces séparations n’ont jamais découpé des parts parfaitement étanches les unes par rapport aux autres. Il est toujours possible de passer de la <em>polis</em> à l’<em>oikos</em> et <em>vice versa</em>. Et le même individu peut très bien exercer à tour de rôle au sein de la société capitaliste des tâches de production ou de reproduction. Mais, de fait, cette division intrinsèquement induite par la notion de « vie privée » oblige à se positionner d’un côté ou de l’autre de la frontière ainsi tracée, à être attiré par un pôle plutôt que par l’autre, bref à choisir son camp en négligeant tout entre-deux. Dès lors, comment soutenir la protection de la « vie privée », sans que cela ne signifie que l’on renonce, dans le même geste, à garantir la défense de tout ce qui pourrait faire partie de la « vie publique » ? Et, en reprenant le raisonnement à sa source, comment définir ce qui fait partie de la « vie privée » – qu’il faudrait donc défendre – par rapport à ce qui appartiendrait à la « vie publique » – qui n’aurait par conséquent aucun besoin de protection ?</p>
<p>Laissons là ces impasses engendrées par des distinctions binaires pour considérer combien une issue est toute trouvée dans le concept d’<em>intimité</em>. En effet, ce dernier est ce que l’on pourrait appeler une grandeur <em>intensive</em>. C’est-à-dire qu’elle s’exprime sous forme de degré, de <em>gradus</em> : telle ou telle action, telle ou telle parole est plus ou moins intime. Il importe peu qu’elles s’adressent à un public large ou relèvent d’un cercle exclusivement privé. Mais, ce qui est fondamental, c’est que, selon l’acte ou la parole, c’est une intimité plus ou moins élevée qui est en jeu. La graduation est infinie et chaque degré nécessite des moyens de protection adaptés. Parler en terme d’« intimité » offre ainsi l’immense avantage d’explorer toute la palette des moyens de sa défense et de sa promotion selon les situations.</p>
<p>Mais ce n’est pas tout ! Car il est une autre distinction qui ne peut être évitée lorsque l’on considère ces actes ou paroles sous l’angle de la « vie privée » : c’est celle entre l’individu et la société. Ce qui fait partie de la vie privée ne concerne en effet que l’individu, ou tout au plus un groupe d’individus – conjoint, famille, amis, collègues, voisins… –, et ne saurait, au contraire, être connu de la « société » – ensemble plus ou moins restreint de l’humanité ou ses représentants juridiques : les États modernes, voire ses acteurs économiques principaux : les entreprises, autrement dit, les sociétés.</p>
<p>Or, comme j’ai déjà pu longuement le détailler, dans la <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2017/09/04/Maintenant-des-armes" hreflang="fr">lecture</a> que je propose de <em>Maintenant</em>, le dernier ouvrage du <em>Comité invisible</em>, il faut bien comprendre combien cette opposition dialectique entre « individu » et « société » est stérile. Combien elle est directement issue d’un mode de pensée prenant racine dans les fondements idéologiques du capitalisme. Et combien lui est préférable une perception en terme de <em>liens</em>.</p>
<p>Justement, là où la « vie privée » prenait forcément comme objet des individus, ce sont les liens qui sont l’objet de l’intimité. L’intimité porte sur les liens qui existent entre les êtres et au sein d’eux-mêmes. C’est ce lien entre amis qui est particulièrement intime, au point qu’il ne peut et ne doit intéresser personne d’autre. C’est, à un degré plus fort de magnitude, ces liens dont la puissance est telle qu’ils parviennent à lier ensemble toutes les parties de mon corps et parallèlement toutes les pensées de mon esprit, qui constituent sans nul doute le plus haut degré d’intimité. Mais c’est aussi ce lien qui m’oppose à des forces que je combats, ou cet autre qui m’attache à des œuvres que j’aime, à des endroits que j’aime habiter, ce sont tous ces liens qui nécessitent une intimité plus ou moins intense, selon qu’ils peuvent et doivent être plus ou moins partagés, selon que leur puissance s’accroît ou décroît lorsqu’ils s’étendent et lient davantage.</p>
<p>Qui plus est un lien s’exprime également avec plus ou moins d’intensité. Toute comme l’intimité, c’est une grandeur intensive. Et il ne serait pas surprenant de découvrir que plus un lien est fort, plus l’intimité dont il est l’objet se doit d’être haute.</p>
<p>Il faudrait étudier plus en avant ce que je viens de tracer comme pistes. Mais on peut d’ores et déjà sentir la richesse qu’apporte le concept d’<em>intimité</em> et avoir envie de déserter les impasses dans lesquelles conduit celui de <em>vie privée</em>. Et l’on comprendra ainsi quelle fût ma joie qu’Emily et Yoann partagent cette <q>intuition […] de mettre un peu de souplesse, de nuances d’intimité, dans le débat sur la protection des données personnelles, parfois caricaturé entre le “tout” ou le “rien à cacher”</q>.</p>
<h4>L’informatique contre le numérique</h4>
<p><img src="https://pascontent.sedrati.xyz/public/.binary-1327512_1280_s.jpg" alt="Gerd Altmann, Binary Humans" style="float:right; margin: 0 0 1em 1em;" title="Gerd Altmann, Binary Humans" />Au contraire, j’ai hélas tiqué que mes amis, dès l’intitulé de l’atelier qu’ils ont animé, tombent dans ce travers d’employer le terme de « numérique ». Le problème est assez différent de celui de l’usage de l’expression « vie privée ». J’ai le sentiment que ce qui est d’abord problématique avec le mot « numérique », c’est qu’il est employé à mauvais escient. On lui fait exprimer des choses qui sortent complètement du sens qu’il est censé envelopper.</p>
<p>Il est de bon ton de se moquer de ceux qui parlent de « digital » : ignorant qu’ils ne font qu’utiliser la traduction anglaise de « numérique », en transposant le mot tel quel en français, ils ne font qu’évoquer ce que ce mot signifie dans notre langue, soit quelque chose de relatif au doigt. Mais l’emploi de « numérique » n’est pas plus heureux. On peut ouvrir n’importe quel dictionnaire français : « numérique » se rapporte bien entendu aux nombres et, dans le domaine informatique, se dit de la représentation de données ou de grandeurs physiques au moyen de chiffres<sup>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2018/05/16/De-l-intimite--de-l-informatique-et-de-la-merde-a-se-tromper-de-concepts#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>. C’est donc avant tout une histoire de <em>représentation</em> – là-dessus, il serait certainement fructueux de s’appuyer sur les travaux de Walter Benjamin concernant la reproductibilité technique. « Numérique » qualifie une représentation de la réalité au moyen de nombres mathématiques discrets – c’est-à-dire non continus. Le mot désigne une certaine <em>manière</em> d’opérer une <em>abstraction</em>, un <em>mode</em> particulier d‘effectuer une <em>représentation</em>, un <em>moyen</em> spécifique de procéder à une <em>modélisation</em>.</p>
<p>Le <em>summum</em> de l’incongruité est alors atteint avec la substantivation de l’adjectif, lorsque l’on se met à parler « <em>du</em> numérique », à considérer en soi « <em>le</em> numérique », transformant le moyen en fin. La question se déplace du « comment » au « quoi ». Le « numérique » devenant substantif exprime une <em>substance</em>, une <em>entité</em> à part entière. Il faut d’ailleurs mettre au crédit d’Emily et de Yoann d’avoir su éviter cette <em>essentialisation</em> dans la présentation de leur atelier, en n’employant jamais « numérique » en tant que nom, mais uniquement pour qualifier les « intimités », des « outils » ou la « collecte de données » – s’en rapprochant toutefois dangereusement lorsqu’ils évoquent « l’ère numérique » ou des « enjeux numériques ».</p>
<p>Quoi qu’il en soit, il paraît évident que, même employé simplement comme adjectif, ce n’est pas ce mode particulier de représentation de la réalité qui est désigné par « numérique » dans l’usage qui est critiqué ici et qui s’est tant répandu ces derniers temps. C’est bien plutôt le traitement automatisé s’opérant sur les informations que constituent ces données, certes représentées sous forme numérique. Qu’on parle de photographies numériques, de livres numériques, etc., cela ne pose aucun problème. Car on désigne bien un moyen de représentation particulier, comme la photographie argentique ou le livre papier sont issus de moyens de représentation différents. Mais ce que l’on vise, par exemple en parlant d’« outils numériques », ce n’est pas le fait que la matière première dont se nourrissent ces outils soit des nombres. C’est davantage la fonction même de ces outils, qui est de réaliser des opérations sur une modélisation de la réalité et en retour d’agir sur cette même réalité selon les résultats obtenus. Il existe un mot précis pour désigner cette fonction de traitement automatisé des informations, c’est « informatique »<sup>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2018/05/16/De-l-intimite--de-l-informatique-et-de-la-merde-a-se-tromper-de-concepts#wiki-footnote-2" id="rev-wiki-footnote-2">2</a>]</sup>. Et la plupart de ce que l’on qualifie erronément de numérique, devrait en fait être désigné par <em>informatique</em>.</p>
<p>On pourrait penser qu’après tout l’erreur n’est pas si grave puisque l’on s’est juste trompé de mot. Ce serait au pire une maladresse. Et après tout, l’usage maladroit se généralisant, il devient usage courant et, au final, l’erreur n’en est même plus une. Je ne crois pas. Car les mots avec lesquels on exprime une idée charrient avec eux toute une nuée de concepts. <q>L’ordre et l’enchaînement des idées est le même que l’ordre et l’enchaînement des choses</q><sup>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2018/05/16/De-l-intimite--de-l-informatique-et-de-la-merde-a-se-tromper-de-concepts#wiki-footnote-3" id="rev-wiki-footnote-3">3</a>]</sup>, avertit Spinoza. Mal nommer les choses, c’est immanquablement échouer à saisir la réalité pour ce qu’elle est, s’interdire de voir les enchaînements qui la produisent et se condamner à passer à côté des connexions d’idées qui l’expliquent, pour se retrouver à errer dans un brouillard de confusion. L’analyse et la critique ne peuvent être qu’affaiblies et s’égarer lorsqu’on désigne leur objet par un mot erroné et réducteur.</p>
<p>Comment alerter sur les précautions à prendre dans l’utilisation des outils informatiques – ordinateurs, logiciels, tablettes, téléphones, applications, services en ligne, réseaux de cartes bancaires, contrôles automatisés des titres de transports, fichages biométriques, etc. – , si l’on se borne à les désigner tous ensemble par le vocable « environnement numérique », si ce ne sont que des « enjeux numériques » ? Les questions soulevées par ces pratiques informatiques permettent d’interroger tant les informations qui y sont traitées, leur indépassable incomplétude ou leur intrusivité impudique, que les acteurs qui conçoivent, proposent ou opèrent ces traitements ainsi que leurs motivations et leurs objectifs ; mais aussi les points aveugles de leurs raisonnements algorithmiques, les décisions qu’ils seront à jamais incapables d’explorer, aussi bien que les chemins balisés qu’ils nous forcent à suivre ; ou encore, la destination des résultats qu’ils produisent, le public qui peut y accéder, l’interconnexion avec d’autres systèmes informatisés, leur rôle cybernétique ; et surtout, les conséquences directes ou indirectes que ces pratiques informatiques ont sur nos corps et nos esprits, sur les formes-de-vie qu’elles favorisent, contraignent, empêchent ou détruisent…</p>
<p>En réduisant cela au numérique, ces questions ne se posent même plus. Car on s’est déjà placé du point de vue du modèle sur lequel, <em>in fine</em>, l’outil informatique exécute ses calculs, du point de vue des données brutes représentées par des chiffres, du point de vue de l’abstraction. Celle-ci est validée au lieu d’être questionnée. Et cette validation de l’abstraction entraîne que « le numérique » ne peut être considéré que comme sphère autonome. Non seulement cela diminue l’impact des conséquences de ce qui se passe dans cette sphère – <em>virtuelle</em> – du numérique sur les autres sphères de la réalité mais, en outre, on reproduit, ce faisant, le mécanisme d’abstraction constitutif de l’économie politique, c’est-à-dire du capitalisme. Ce qui n’est pas surprenant : la comptabilité, la mesurabilité étant les conditions <em>sine qua non</em> de l’existence de la valeur économique, qu’il y a-t-il de plus adapté que le « numérique » pour nommer son milieu naturel ?</p>
<p>Voilà la dangereuse pente sur laquelle nous entraîne la pensée lorsqu’elle est formulée en termes de « numérique ». Celle au fond de laquelle on oublie que l’informatique, comme toute science ou technologie moderne, est issue du mode de connaissance scientifique propre au capitalisme. En cela même, elle doit être critiquée. Ce qui ne signifie pas le rejet dogmatique de toute connaissance qu’elle a pu produire. Mais plutôt qu’il faille la percevoir telle qu’elle est : non pas une sphère technique, isolée ou, pire, un sous-ensemble de la sphère économique, mais en considérant également ses aspects sociologique, historique, éthique, politique ou philosophique. Et savoir reconnaître quelles connaissances peuvent être subversives. J’ai bien peur que ce soit justement cette perception qu’escamote l’emploi de « numérique » au lieu d’« informatique ».</p>
<h4>S’extirper de la merde</h4>
<p><img src="https://pascontent.sedrati.xyz/public/twin_peaks_dr_amp_shovel_your_way_out_of_the_shit.gif" alt="Twin Peaks, Dr Amp, Shovel your way out of the shit" style="float:left; margin: 0 1em 1em 0;" title="Twin Peaks, Dr Amp, Shovel your way out of the shit" />Ce billet arrivant à son terme, même si – encore une fois – les réflexions abordées mériteraient d’être approfondies, j’espère tout de même avoir été au-delà des simples opinions et convaincu que les discours basés sur la « vie privée » ou le « numérique » étaient à tout le moins questionnables.</p>
<p>S’il est une certitude, c’est que le capitalisme parvient à survivre en grande partie parce qu’il a su instiller un mode de pensée et les mots pour l’exprimer. Même une pensée se voulant critique à son égard, mais reprenant sans recul ses propres mots, ne parvient qu’à s’embourber dans ce mode de pensée qu’elle croyait combattre et finit par être engloutie, récupérée et retournée à son profit. En adoptant la perspective de l’intimité plutôt que celle de la vie privée – comme le font très bien Emily et Yoann – et en désertant le vocable « numérique » pour désigner les concepts qui relèvent de l’informatique, n’est-ce pas déjà faire un pas de côté qui permette de penser plus clairement ? N’est-ce pas s’extirper du bourbier qui encrasse jusqu’à nos manières de penser ?</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2018/05/16/De-l-intimite--de-l-informatique-et-de-la-merde-a-se-tromper-de-concepts#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] <a href="http://www.cnrtl.fr/definition/num%C3%A9rique" hreflang="fr">Lilen-Morvan</a>, 1976 : <q>Qui désigne ou représente des nombres ou des grandeurs physiques au moyen de chiffres.</q><br /><a href="https://academie.atilf.fr/9/consulter/numérique" hreflang="fr">Dictionnaire de l’académie française</a>, 9<sup>e</sup> édition : <q>Se dit, par opposition à <em>Analogique</em>, du codage, du stockage, de la transmission d’informations ou de grandeurs physiques sous forme de chiffres ou de signaux à valeur discrète (ou discontinue). Par ext. Se dit de la représentation d’informations, de données sous forme de chiffres.</q><br /><a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/num%c3%a9rique/55253" hreflang="fr">Larousse</a> (en ligne) : <q>Se dit de la représentation d’informations ou de grandeurs physiques au moyen de caractères, tels que des chiffres, ou au moyen de signaux à valeurs discrètes. Se dit des systèmes, dispositifs ou procédés employant ce mode de représentation discrète, par opposition à analogique.</q><br /><a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000000842020&pageCourante=50625" hreflang="fr">Arrêté du 22/12/1981</a> sur proposition de la commission de terminologie de l’informatique : <q>Se dit, par opposition à “analogique”, de la représentation discrète de données ou de grandeurs physiques au moyen de caractères (des chiffres généralement) ; se dit aussi des systèmes, dispositifs ou procédés employant ce mode de représentation.</q></p>
<p>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2018/05/16/De-l-intimite--de-l-informatique-et-de-la-merde-a-se-tromper-de-concepts#rev-wiki-footnote-2" id="wiki-footnote-2">2</a>] <a href="http://www.cnrtl.fr/definition/informatique" hreflang="fr">Bulletin officiel de l’éducation nationale</a>, 26 févr. 1981, n°8, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000000842020&pageCourante=50625" hreflang="fr">Arrêté du 22/12/1981</a> sur proposition de la commission de terminologie de l’informatique et <a href="https://academie.atilf.fr/9/consulter/informatique" hreflang="fr">Dictionnaire de l’académie française</a>, 9<sup>e</sup> édition : <q>Science du traitement rationnel, notamment par machines automatiques, de l’information considérée comme le support des connaissances humaines et des communications dans les domaines technique, économique et social.</q><br /><a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/informatique/42996" hreflang="fr">Larousse</a> (en ligne) : <q>Science du traitement automatique et rationnel de l’information considérée comme le support des connaissances et des communications.</q></p>
<p>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2018/05/16/De-l-intimite--de-l-informatique-et-de-la-merde-a-se-tromper-de-concepts#rev-wiki-footnote-3" id="wiki-footnote-3">3</a>] Baruch Spinoza, <em>Éthique</em>, traduction Bernard Pautrat, Paris, Points, 2014, II, Proposition 7</p></div>
https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2018/05/16/De-l-intimite--de-l-informatique-et-de-la-merde-a-se-tromper-de-concepts#comment-formhttps://pascontent.sedrati.xyz/index.php/feed/atom/comments/50Programme de rechercheurn:md5:a21f4fd36e201da035d6563b28e8d6bb2014-08-01T18:52:00+02:002015-01-03T01:42:48+01:00gibusPas content !Arendtblogbrevets logicielsCastoriadiscritique de la valeurFoucaultHazaninformatologieinsurrectionKamologiciels libresLordonMarxMaussNietzscherapports de dominationrenversementSpinoza<p>Cela fait maintenant pratiquement cinq mois que je n'ai rien publié sur ce <a href="tag:blog">blog</a>. Je ne l'ai pas abandonné pour autant et j'ai poursuivi mes recherches par un grand nombre de lectures, de visionnages ou d'écoutes, ainsi qu'en assistant à quelques conférences ou par la discussion informelle tant en ligne que lors de rencontres <em>de visu</em>, tout cela ayant suscité nombre de réflexions qui demandent à être approfondies…</p>
<p>J'aimerais dans ce billet recenser les diverses pistes de recherche que je compte explorer – que ce soit à court, moyen ou long terme – et qui devraient donner lieu à la publication de mes réflexions sur ce blog. Il s'agit donc d'un « meta billet » dont j'espère que l'intérêt, s'il est en première instance tout personnel – visant à organiser mes propres recherches intellectuelles ‑, pourrait être pour tout visiteur de ce blog d'avoir un panorama de qu'il pourra y trouver.</p>
<p>L'objectif de ce blog <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/19/J-ai-comme-envie-d-une-insurrection-non-pacifique">n'a pas changé</a> : <q>expliciter ce qui fait naître et nourri [l']envie d'<a href="tag:insurrection">insurrection</a> [et] pourquoi l'insurrection est la seule réponse possible au <a href="tag:renversement">renversement</a> des <a href="tag:rapports de domination">rapports de domination</a>, car c'est bien ce renversement qui me semble constituer une urgente priorité</q>. L'ensemble des recherches que je compte effectuer s'inscrit ainsi dans ce but insurrectionnel.</p> <p>Premièrement, la lecture à l'automne 2014 du petit livre cosigné par Éric <a href="tag:Hazan">Hazan</a> et <a href="tag:Kamo">Kamo</a>, <em>« Première mesures révolutionnaires »</em> a constitué une source d'inspiration indéniable, principalement parce qu'il pointe des questions fondamentales, dans un style manifestement élaboré consciemment pour être le plus concis et le plus précis possible. Je partage intuitivement nombre des positions exprimées dans ce livre sur les problèmes qu'il soulève. Mais le plus intéressant est que ces conclusions directes et incisives reposent sur une solide base théorique implicite, qui s'avère passionnante à défricher. J'ai ainsi déjà consacré <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Kamo">cinq billets</a> à l'exploration de <em>Première mesures révolutionnaires</em>, en reprenant point par point les réflexions qui, dans un même temps, fondent les propos tenus par Hazan et Kamo et sont soulevées par ceux-ci. Un sixiième billet est en préparation depuis des mois sur le « revenu de base ». Il me faut bien entendu terminer de l'écrire et je compte bien également poursuivre la publication de billets reprenant la trame de ce livre, abordant des sujets tels que le rôle de l'État, l'échelle juste des décisions, Internet, l'écologie, la vengeance et la violence, la place réservée à la culture, les dangers potentiels, etc.</p>
<p>L'ouvrage de Kamo et Hazan n'engendre pas seulement la discussion, mais suscite également d'autres lectures. De manière évidente, il m'a fait relire <em><a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Insurrection_qui_vient" hreflang="fr">L'insurrection qui vient</a></em> et découvrir, avec plus de dix ans de retard, les divers textes parus dans la revue <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Tiqqun" hreflang="fr">Tiqqun</a>, que j'ai tout juste commencé à aborder. Ayant également lu un certain nombre de commentaires pointant les influences d'<a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Martin_Heidegger" hreflang="fr">Heidegger</a> et du <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Internationale_situationniste" hreflang="fr">situationnisme</a> sur ces écrits, il faudra sans doute que j'étudie ces sources, que je connais encore très mal. Je ne sais pas si j'écrirai spécifiquement sur ces lectures, mais il ne fait pas de doute qu'elles émailleront les réflexions exposées ici.</p>
<p>Deuxièmement, j'ai commencé à me pencher moins directement – en examinant les questions sur le travail, l'argent et l'économie posée par <em>Premières mesures révolutionnaires</em> – sur ce qu'on appelle en France la théorie de la « <a href="tag:critique de la valeur">critique de la valeur</a> » ou du « fétichisme de la marchandise », ou encore « wertkritik » en allemand. Ce courant de pensée reprend une lecture de certains passages de <a href="tag:Marx">Marx</a>, délaissés par le marxisme traditionnel, tentant de saisir les catégories constituant le noyau du capitalisme. J'ai lu depuis quelques mois un certain nombres d'auteurs et d'ouvrages de référence de ce courant – <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Anselm_Jappe" hreflang="fr">Anselm Jappe</a>, <a href="http://www.post-editions.fr/LA-GRANDE-DEVALORISATION.html">Ernst Lohoff, Norbert Trenkle</a>, <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Moishe_Postone" hreflang="fr">Moishe Postone</a>, quelques articles de <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Kurz" hreflang="fr">Robert Kurz</a>… – et je suis convaincu qu'il s'agit là d'une des tentatives les mieux réussies pour décrire et expliquer l'ordre social capitaliste actuel, en particulier la crise endogène et profonde qu'il traverse, fournissant ainsi une base théorique essentielle à tout mouvement insurrectionnel dévolu à abolir les rapports de domination capitalistes. Je vais donc continuer mes recherches sur ce courant, il me reste bon nombre d'écrits à lire et surtout à expliciter la résolution d'une contradiction fondamentale que peut soulever la critique de la valeur : pourquoi le travail vivant socialement abstrait serait-il la seule source de valeur possible, dans un ordre social pour lequel la richesse est uniquement constituée par la valeur ? Autrement dit, le capitalisme ne peut-il imaginer d'autres sources de création de valeur à même de compenser la crise de celle-ci et de sauvegarder cet ordre social dont l'unique mesure se trouve dans la valeur ?</p>
<p>Par ailleurs, les raisonnements de la critique de la valeur se sont avérés trouver une résonance dans mes activités militantes autour des libertés informatiques. La critique de la valeur a en effet l'immense mérite de poser des concepts tout à fait à même d'être repris pour apporter un fondement théorique à l'« <a href="tag:informatologie">informatologie</a> ». Considérés selon l'angle de la critique de la valeur, tant les luttes contre les efforts de domination et de contrôle de l'environnement informationnel que le potentiel subversif d'initiatives telles que le mouvement des <a href="tag:logiciels libres">logiciels libres</a>, peuvent être examinés, justifiés et renforcés de manière novatrice. J'ai déjà commencé à écrire un billet mêlant critique de la valeur et <a href="tag:brevets logiciels">brevets logiciels</a>, apportant à la critique de ces derniers un angle d'attaque qui, à ma connaissance, n'avait pas encore été examiné. Il ne fait pas de doute que je poursuivrai cette recherche.</p>
<p>Troisième axe de recherche : le spinozisme. À un autre niveau – peut-être encore plus fondamental – que celui de la critique de la valeur, la pensée de <a href="tag:Spinoza">Spinoza</a> me semble en effet particulièrement appropriée tant pour comprendre les ressorts fondamentaux de l'ordre social actuel, que pour appuyer l'élaboration de ce qu'il serait souhaitable d'instituer, une fois le renversement accompli, en passant par l'examen des conditions pouvant provoquer une telle insurrection permettant de passer de l'un à l'autre. C'est bien entendu la lecture des recherches spinozistes de Frédéric <a href="tag:Lordon">Lordon</a> qui m'a incité sur cette voie. Au-delà du personnage – qu'on ne saurait qualifier de médiatique, ni de grand public, malgré une présence croissante pour la promotion de ses ouvrages – s'exprimant publiquement, en tant qu'économiste hétérodoxe, sur les racines politiques de la crise actuelle, Lordon poursuit un programme de recherche en sciences sociales, s'appuyant et reprenant à son compte les concepts fondamentaux du spinozisme aux fins justement de fonder une théorie sociale. J'ai ainsi repris dans un long billet les réflexions de Lordon, s'appuyant sur la philosophie de Spinoza, en étudiant la question du travail. Il me reste encore à lire une bonne partie des articles publiés par Lordon là-dessus, mais surtout, il me faut poursuivre la lecture directe de Spinoza. Je n'ai pour l'instant abordé que l<em>'Éthique</em> – ce qui est assurément le cœur de toute la philosophie spinoziste –, dans le texte et par ses commentaires inspirés de <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Gilles_Deleuze" hreflang="fr">Gilles Deleuze</a> ou de <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Misrahi" hreflang="fr">Robert Misrahi</a>, mais outre un ou deux ouvrages explicatifs de ce dernier, il m'est impossible de passer outre la lecture du <em>Traité politique</em>, ainsi que des écrits d'<a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Matheron" hreflang="fr">Alexandre Matheron</a> à ce sujet. Ici encore, je ne sais si ce troisième axe de recherche donnera lieu à la publication de billets directement en rapport, mais je suis certain que ces réflexions spinozistes transpireront dans ce que j'écrirai.</p>
<p>Enfin, certaines références philosophiques croisent chacun de ces axes de recherche : Friedrich <a href="tag:Nietzsche">Nietzsche</a>, Hannah <a href="tag:Arendt">Arendt</a>, Cornelius <a href="tag:Castoriadis">Castoriadis</a>, Marcel <a href="tag:Mauss">Mauss</a>, Michel <a href="tag:Foucault">Foucault</a>, etc. ‑ que je ne manquerai pas de lire un jour ou l'autre. En outre, il est des questions que je souhaitais aborder dès la construction de ce blog – le vote et l'abstention, la police, l'État, la violence, etc. Les trois axes de recherche, ainsi que leurs ramifications, que je viens de présenter recouperont sans doute ces sujets. Cela est déjà le cas avec <em>Premières mesures révolutionnaires</em>, ce pour quoi j'ai choisi de suivre la trame de ce livre étant principalement qu'il questionnait des sujets que je voulais de toute façon traiter. Je ne m'interdis pas non plus de publier des billets d'humeur, en réactions à certaines actualités, qu'elles soient publiques ou toutes personnelles – j'avoue que jusqu'ici, rien dans les sujets traités par la presse traditionnelle durant cette année dominée par quelques élections ne m'a paru suffisamment significatif pour susciter une envie d'y réagir surpassant toute autre préoccupation… Mais ça peut venir !</p>
<p>Voilà qui constitue un programme de recherche que je reconnais volontiers comme ambitieux, mais qui, personnellement, me motive au plus haut point. Je suis convaincu qu'une insurrection adviendra d'autant mieux et aura des conséquences d'autant plus bénéfiques pour l'ordre social que celle-ci et celles-là sont consciemment pensées. Je m'efforce ici de contribuer, avec les modestes moyens qui sont les miens, à la construction d'une telle pensée. En tant que telle, cette pensée est certes en première instance personnelle, mais elle n'a de valeur et n'est susceptible d'évoluer, de se corriger, de s'enrichir, qu'en étant partagée Voici donc, tout à la fois, pourquoi et sur quoi, je continuerai d'écrire sur ce blog. J'espère que cela correspond aux attentes de ses éventuels lecteurs et commentateurs.</p>https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2014/08/01/Programme-de-recherche#comment-formhttps://pascontent.sedrati.xyz/index.php/feed/atom/comments/24