Pas content ! - Mot-clé - renversement2024-03-27T18:57:02+01:00Gibusurn:md5:d1aadfbb494e48d249c8fbe4fbd6e772DotclearJe suis de ceuxurn:md5:9f669899405d1f9337b59e9638e711922017-02-16T20:30:00+01:002021-02-03T23:29:05+01:00gibusPoésiescapitalisme démocratiquerenversementrévolution<p class="poemP1"><img alt="" class="media" src="https://pascontent.sedrati.xyz/public/.macron_discours_en_marche_s.jpg" style="float: right; margin: 0 0 1em 1em;" />Je suis de ceux pour qui le mot « révolution »<br />
A ces accents mêlés de cheveux en chignon<br />
Aigus dans la douleur aussi brefs qu'étincelles<br />
Graves dans la langueur du Vrai qui se révèle</p> <p class="poemP2">Si je suis jeune et vierge et sans doute étranger<br />
Je ne le suis qu'envers vos fétiches rêvés<br />
Car je suis cet instant où votre réveil sonne<br />
Où vous demandez si la journée sera bonne</p>
<p class="poemP3">Le Temps presse il faut bien prendre une décision<br />
Irons-nous enlacés libérer nos passions<br />
Sous le chant des canons en bombardant le vide<br />
Qui a rempli nos corps d'éternité morbide</p>
<p class="poemP4">Ou ensablerons-nous encore le désert<br />
En allant quémander notre pain en enfer<br />
Dans le petit matin je suis cette seconde<br />
Où le rêve se meurt et peut mourir le monde</p>
<p class="poemP1">Je suis de ceux pour qui le mot « révolution »<br />
Est inscrit dans la pierre archaïque infinie<br />
Balisant nos chemins, que nous ne nous perdions<br />
Dans ce fleuve ennemi qui vient nier nos vies</p>
<p class="poemP2">Si je suis vieux, usé et comme inoffensif<br />
Et voué à l'échec au nom de mes ancêtres<br />
Je ne le suis que tant que je veux le paraître<br />
Car l'Ange de l'Histoire a trop de plaies à vif</p>
<p class="poemP3">Son sang ne fait qu'un tour charriant des sédiments<br />
Que les siècles ont vomi sans qu'il ne coagule<br />
Et il coule à l'envers cet Ange qui recule<br />
Pour pouvoir avancer il joue contre le Temps</p>
<p class="poemP4">Nos artères soudain ont l'âge des comètes<br />
Qui sait quels univers nous allons embrasser<br />
Nous qui n'avons connu qu'une seule planète<br />
Saisissons le moment qui peut la renverser</p>
<p class="poemP1">Je suis de ceux pour qui le mot « révolution »<br />
Se pose en papillon sur chaque geste en fleur<br />
Sans quoi il n'éclot pas mais se fane et se meurt<br />
Gelé dans la machine épuisant sa fiction</p>
<p class="poemP2">Si je suis invisible et pourtant si présente<br />
Dans chacun des parfums que tes lèvres prononcent<br />
C'est que j'ai la saveur des baisers sans réponse<br />
Car je suis comme l'air s'engouffrant dans tes fentes</p>
<p class="poemP3">De toute urgence il faut que tu sentes tes pores<br />
Respirer cet élan que tu nommes « la vie »<br />
Dont j'incarne le corps délesté d'utopie<br />
Qui jaillit de tes cris lorsque tu cries « encore ! »</p>
<p class="poemP4">Je suis ce qui revient quand au fond des abîmes<br />
N'en peut plus de chuter cet effort de Sisyphe<br />
Lorsqu'éprouvent tes doigts la nostalgie des griffes<br />
Prêtes à dépecer le brouillard qui t'arrime</p>
<p class="poemP1">Je suis de ceux pour qui le mot « révolution »<br />
Vient frapper de plein fouet la barbe des bourgeois<br />
Et répond d'un crachat à la moindre injonction<br />
Que ces cons citoyens présentent comme un choix</p>
<p class="poemP2">Si je suis sans pitié, avançant l'arme au poing<br />
C'est que la violence assermentée de loi<br />
Ne saurait perdurer sans y mettre son grain<br />
Et faire ainsi germer de beaux feus de tout bois</p>
<p class="poemP3">Nous avons trop souffert sans jamais dire un mot<br />
Pour que je sois la seule à sans cesse formuler<br />
Qu'il n'y a d'avenir sans tuer les robots<br />
Qui violent nos enfants en toute impunité</p>
<p class="poemP4">Je suis prête et le Temps s'épelle « main-te-nant »<br />
Tu n'as jamais vécu qu'en ma voix assassine<br />
Tu marches avec moi le cœur toujours battant<br />
À la pointe du sein des rimes féminines</p>https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2017/02/16/Je-suis-de-ceux#comment-formhttps://pascontent.sedrati.xyz/index.php/feed/atom/comments/44Programme de rechercheurn:md5:a21f4fd36e201da035d6563b28e8d6bb2014-08-01T18:52:00+02:002015-01-03T01:42:48+01:00gibusPas content !Arendtblogbrevets logicielsCastoriadiscritique de la valeurFoucaultHazaninformatologieinsurrectionKamologiciels libresLordonMarxMaussNietzscherapports de dominationrenversementSpinoza<p>Cela fait maintenant pratiquement cinq mois que je n'ai rien publié sur ce <a href="tag:blog">blog</a>. Je ne l'ai pas abandonné pour autant et j'ai poursuivi mes recherches par un grand nombre de lectures, de visionnages ou d'écoutes, ainsi qu'en assistant à quelques conférences ou par la discussion informelle tant en ligne que lors de rencontres <em>de visu</em>, tout cela ayant suscité nombre de réflexions qui demandent à être approfondies…</p>
<p>J'aimerais dans ce billet recenser les diverses pistes de recherche que je compte explorer – que ce soit à court, moyen ou long terme – et qui devraient donner lieu à la publication de mes réflexions sur ce blog. Il s'agit donc d'un « meta billet » dont j'espère que l'intérêt, s'il est en première instance tout personnel – visant à organiser mes propres recherches intellectuelles ‑, pourrait être pour tout visiteur de ce blog d'avoir un panorama de qu'il pourra y trouver.</p>
<p>L'objectif de ce blog <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/19/J-ai-comme-envie-d-une-insurrection-non-pacifique">n'a pas changé</a> : <q>expliciter ce qui fait naître et nourri [l']envie d'<a href="tag:insurrection">insurrection</a> [et] pourquoi l'insurrection est la seule réponse possible au <a href="tag:renversement">renversement</a> des <a href="tag:rapports de domination">rapports de domination</a>, car c'est bien ce renversement qui me semble constituer une urgente priorité</q>. L'ensemble des recherches que je compte effectuer s'inscrit ainsi dans ce but insurrectionnel.</p> <p>Premièrement, la lecture à l'automne 2014 du petit livre cosigné par Éric <a href="tag:Hazan">Hazan</a> et <a href="tag:Kamo">Kamo</a>, <em>« Première mesures révolutionnaires »</em> a constitué une source d'inspiration indéniable, principalement parce qu'il pointe des questions fondamentales, dans un style manifestement élaboré consciemment pour être le plus concis et le plus précis possible. Je partage intuitivement nombre des positions exprimées dans ce livre sur les problèmes qu'il soulève. Mais le plus intéressant est que ces conclusions directes et incisives reposent sur une solide base théorique implicite, qui s'avère passionnante à défricher. J'ai ainsi déjà consacré <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Kamo">cinq billets</a> à l'exploration de <em>Première mesures révolutionnaires</em>, en reprenant point par point les réflexions qui, dans un même temps, fondent les propos tenus par Hazan et Kamo et sont soulevées par ceux-ci. Un sixiième billet est en préparation depuis des mois sur le « revenu de base ». Il me faut bien entendu terminer de l'écrire et je compte bien également poursuivre la publication de billets reprenant la trame de ce livre, abordant des sujets tels que le rôle de l'État, l'échelle juste des décisions, Internet, l'écologie, la vengeance et la violence, la place réservée à la culture, les dangers potentiels, etc.</p>
<p>L'ouvrage de Kamo et Hazan n'engendre pas seulement la discussion, mais suscite également d'autres lectures. De manière évidente, il m'a fait relire <em><a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Insurrection_qui_vient" hreflang="fr">L'insurrection qui vient</a></em> et découvrir, avec plus de dix ans de retard, les divers textes parus dans la revue <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Tiqqun" hreflang="fr">Tiqqun</a>, que j'ai tout juste commencé à aborder. Ayant également lu un certain nombre de commentaires pointant les influences d'<a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Martin_Heidegger" hreflang="fr">Heidegger</a> et du <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Internationale_situationniste" hreflang="fr">situationnisme</a> sur ces écrits, il faudra sans doute que j'étudie ces sources, que je connais encore très mal. Je ne sais pas si j'écrirai spécifiquement sur ces lectures, mais il ne fait pas de doute qu'elles émailleront les réflexions exposées ici.</p>
<p>Deuxièmement, j'ai commencé à me pencher moins directement – en examinant les questions sur le travail, l'argent et l'économie posée par <em>Premières mesures révolutionnaires</em> – sur ce qu'on appelle en France la théorie de la « <a href="tag:critique de la valeur">critique de la valeur</a> » ou du « fétichisme de la marchandise », ou encore « wertkritik » en allemand. Ce courant de pensée reprend une lecture de certains passages de <a href="tag:Marx">Marx</a>, délaissés par le marxisme traditionnel, tentant de saisir les catégories constituant le noyau du capitalisme. J'ai lu depuis quelques mois un certain nombres d'auteurs et d'ouvrages de référence de ce courant – <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Anselm_Jappe" hreflang="fr">Anselm Jappe</a>, <a href="http://www.post-editions.fr/LA-GRANDE-DEVALORISATION.html">Ernst Lohoff, Norbert Trenkle</a>, <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Moishe_Postone" hreflang="fr">Moishe Postone</a>, quelques articles de <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Kurz" hreflang="fr">Robert Kurz</a>… – et je suis convaincu qu'il s'agit là d'une des tentatives les mieux réussies pour décrire et expliquer l'ordre social capitaliste actuel, en particulier la crise endogène et profonde qu'il traverse, fournissant ainsi une base théorique essentielle à tout mouvement insurrectionnel dévolu à abolir les rapports de domination capitalistes. Je vais donc continuer mes recherches sur ce courant, il me reste bon nombre d'écrits à lire et surtout à expliciter la résolution d'une contradiction fondamentale que peut soulever la critique de la valeur : pourquoi le travail vivant socialement abstrait serait-il la seule source de valeur possible, dans un ordre social pour lequel la richesse est uniquement constituée par la valeur ? Autrement dit, le capitalisme ne peut-il imaginer d'autres sources de création de valeur à même de compenser la crise de celle-ci et de sauvegarder cet ordre social dont l'unique mesure se trouve dans la valeur ?</p>
<p>Par ailleurs, les raisonnements de la critique de la valeur se sont avérés trouver une résonance dans mes activités militantes autour des libertés informatiques. La critique de la valeur a en effet l'immense mérite de poser des concepts tout à fait à même d'être repris pour apporter un fondement théorique à l'« <a href="tag:informatologie">informatologie</a> ». Considérés selon l'angle de la critique de la valeur, tant les luttes contre les efforts de domination et de contrôle de l'environnement informationnel que le potentiel subversif d'initiatives telles que le mouvement des <a href="tag:logiciels libres">logiciels libres</a>, peuvent être examinés, justifiés et renforcés de manière novatrice. J'ai déjà commencé à écrire un billet mêlant critique de la valeur et <a href="tag:brevets logiciels">brevets logiciels</a>, apportant à la critique de ces derniers un angle d'attaque qui, à ma connaissance, n'avait pas encore été examiné. Il ne fait pas de doute que je poursuivrai cette recherche.</p>
<p>Troisième axe de recherche : le spinozisme. À un autre niveau – peut-être encore plus fondamental – que celui de la critique de la valeur, la pensée de <a href="tag:Spinoza">Spinoza</a> me semble en effet particulièrement appropriée tant pour comprendre les ressorts fondamentaux de l'ordre social actuel, que pour appuyer l'élaboration de ce qu'il serait souhaitable d'instituer, une fois le renversement accompli, en passant par l'examen des conditions pouvant provoquer une telle insurrection permettant de passer de l'un à l'autre. C'est bien entendu la lecture des recherches spinozistes de Frédéric <a href="tag:Lordon">Lordon</a> qui m'a incité sur cette voie. Au-delà du personnage – qu'on ne saurait qualifier de médiatique, ni de grand public, malgré une présence croissante pour la promotion de ses ouvrages – s'exprimant publiquement, en tant qu'économiste hétérodoxe, sur les racines politiques de la crise actuelle, Lordon poursuit un programme de recherche en sciences sociales, s'appuyant et reprenant à son compte les concepts fondamentaux du spinozisme aux fins justement de fonder une théorie sociale. J'ai ainsi repris dans un long billet les réflexions de Lordon, s'appuyant sur la philosophie de Spinoza, en étudiant la question du travail. Il me reste encore à lire une bonne partie des articles publiés par Lordon là-dessus, mais surtout, il me faut poursuivre la lecture directe de Spinoza. Je n'ai pour l'instant abordé que l<em>'Éthique</em> – ce qui est assurément le cœur de toute la philosophie spinoziste –, dans le texte et par ses commentaires inspirés de <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Gilles_Deleuze" hreflang="fr">Gilles Deleuze</a> ou de <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Misrahi" hreflang="fr">Robert Misrahi</a>, mais outre un ou deux ouvrages explicatifs de ce dernier, il m'est impossible de passer outre la lecture du <em>Traité politique</em>, ainsi que des écrits d'<a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Matheron" hreflang="fr">Alexandre Matheron</a> à ce sujet. Ici encore, je ne sais si ce troisième axe de recherche donnera lieu à la publication de billets directement en rapport, mais je suis certain que ces réflexions spinozistes transpireront dans ce que j'écrirai.</p>
<p>Enfin, certaines références philosophiques croisent chacun de ces axes de recherche : Friedrich <a href="tag:Nietzsche">Nietzsche</a>, Hannah <a href="tag:Arendt">Arendt</a>, Cornelius <a href="tag:Castoriadis">Castoriadis</a>, Marcel <a href="tag:Mauss">Mauss</a>, Michel <a href="tag:Foucault">Foucault</a>, etc. ‑ que je ne manquerai pas de lire un jour ou l'autre. En outre, il est des questions que je souhaitais aborder dès la construction de ce blog – le vote et l'abstention, la police, l'État, la violence, etc. Les trois axes de recherche, ainsi que leurs ramifications, que je viens de présenter recouperont sans doute ces sujets. Cela est déjà le cas avec <em>Premières mesures révolutionnaires</em>, ce pour quoi j'ai choisi de suivre la trame de ce livre étant principalement qu'il questionnait des sujets que je voulais de toute façon traiter. Je ne m'interdis pas non plus de publier des billets d'humeur, en réactions à certaines actualités, qu'elles soient publiques ou toutes personnelles – j'avoue que jusqu'ici, rien dans les sujets traités par la presse traditionnelle durant cette année dominée par quelques élections ne m'a paru suffisamment significatif pour susciter une envie d'y réagir surpassant toute autre préoccupation… Mais ça peut venir !</p>
<p>Voilà qui constitue un programme de recherche que je reconnais volontiers comme ambitieux, mais qui, personnellement, me motive au plus haut point. Je suis convaincu qu'une insurrection adviendra d'autant mieux et aura des conséquences d'autant plus bénéfiques pour l'ordre social que celle-ci et celles-là sont consciemment pensées. Je m'efforce ici de contribuer, avec les modestes moyens qui sont les miens, à la construction d'une telle pensée. En tant que telle, cette pensée est certes en première instance personnelle, mais elle n'a de valeur et n'est susceptible d'évoluer, de se corriger, de s'enrichir, qu'en étant partagée Voici donc, tout à la fois, pourquoi et sur quoi, je continuerai d'écrire sur ce blog. J'espère que cela correspond aux attentes de ses éventuels lecteurs et commentateurs.</p>https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2014/08/01/Programme-de-recherche#comment-formhttps://pascontent.sedrati.xyz/index.php/feed/atom/comments/24Premières mesures révolutionnaires : créer l'irréversibleurn:md5:997a087b781363531e944260e4afdce52013-11-24T16:38:00+01:002013-11-24T16:38:00+01:00gibusRessourcescapitalisme démocratiqueHazanKamorenversement<p>Les précédents billets <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/11/04/Premieres-mesures-revolutionnaires">présentaient</a> l'objectif de <em>Premières mesures révolutionnaires</em> – devenir à jamais ingouvernables – et <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/11/12/Premieres-mesures-revolutionnaires-on-a-raison-de-se-revolter">désignaient</a> le <em><a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/capitalisme%20d%C3%A9mocratique">capitalisme démocratique</a></em> comme adversaire, nous abordons maintenant la seconde partie du petit livre d'Éric <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Hazan">Hazan</a> et <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Kamo">Kamo</a> dont les quelques 65 pages en constituent le cœur : quelles mesures prendre immédiatement après une insurrection victorieuse pour que le <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/renversement">renversement</a> du capitalisme démocratique soit irréversible ?</p>
<p>D'abord, il s'agit identifier les erreurs commises lors de précédents soulèvements ayant signé l'échec de ces derniers à renverser l'ordre établi de manière définitive. La première mesure à prendre est en effet de ne pas répéter ces mêmes erreurs. Cette formulation de la séquence d'actions, reproduite avec constance, ayant conduit les révolutions passées à un renversement contre-révolutionnaire est l'un des apports majeur – auquel se consacre le présent billet – de ce livre.</p> <p>L'objet de <em>Premières mesures révolutionnaires</em> n'est pas de décrire comment peut se dérouler une insurrection victorieuse, mais plutôt de partir de son avènement inéluctable. Pour Kamo et Éric Hazan, il ne fait pas de doute qu'une telle victoire se traduira par une débandade, une fuite, une évaporation du pouvoir en place. Quant à la façon de parvenir à la victoire, le lecteur est renvoyé à des <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Insurrection_qui_vient" hreflang="fr">écrits précédents</a><sup>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/11/24/Premieres-mesures-revolutionnaires-creer-l-irreversible#pnote-17-1" id="rev-pnote-17-1">1</a>]</sup></p>
<blockquote><p>Dans un pays comme la France, les conditions sont aujourd'hui réunies pour une <em>évaporation du pouvoir</em> sous l'effet d'un soulèvement et d'un blocage général du système, comme décrit dans <em>L'insurrection qui vient</em> (La Fabrique, 2007).</p></blockquote>
<p>Il ne s'agit pas bien entendu de croire naïvement que le pouvoir en place s'évanouira de lui-même. Mais, les conditions et les moyens aptes à provoquer un tel évanouissement ayant déjà été développés, la posture post-révolutionnaire adoptée par <em>Premières mesures révolutionnaires</em> impose de prendre en compte ce point de départ : l'ouverture rendue possible par la désertion du pouvoir établi. Les exemples ne manquent pas montrant, d'une part, qu'il est tout à fait probable que le pouvoir renversé le soit en s'éclipsant et que, d'autre part, si l'on souhaite que cette désertion soit définitive, il importe d'emplir de lumière la nuit qu'elle aura laissée :</p>
<blockquote><p>Le phénomène s'est déjà produit deux fois dans l'histoire de ce pays. La première à l'été 1789 : quand s'est répandue la nouvelle de la prise de la Bastille, la structure de gouvernement héritée de Richelieu et de Colbert s'est spontanément défaite. Les intendants – représentants du pouvoir central, équivalents des préfets de régions actuels – sont tout simplement parti. Ils ont vidé les lieux en laissant les clefs sur la porte, et avec eux se sont dissous les corps constitués, les parlements, les municipalités dont les membres tiraient leur pouvoir de l'hérédité, de la vénalité des charges ou d'une désignation directe par le pouvoir central. Il restait bien un exécutif, un roi, des ministres, mais ils ne dirigeaient plus rien. La courroie était cassée, et définitivement.</p></blockquote>
<blockquote><p>La seconde évaporation du pouvoir s'est produite en mai 1968 quand, face à la révolte étudiante et à la plus grande grève qu'ait connue le pays, le pouvoir gaulliste s'est volatilisé. Certes cette vacance n'a duré que quelques jours : tout avait été si soudain, si inattendu, que rien n'était prêt dans les esprits pour tirer parti d'une situation aussi exceptionnelle. C'est le vide théorique et programmatique, non comblé par les élucubrations maoïstes ou trotskistes, qui permit au parti communiste et à la CGT de reprendre les choses en mains et au gaullisme de resurgir triomphalement au mois de juin – le vide, bien davantage que les CRS, le préfet Grimaud ou la menace du général Massu.</p></blockquote>
<blockquote><p>Récemment, Ben Ali et Moubarak ont eux aussi pris la route du néant malgré leur police et leurs forces spéciales – et ce, dans des pays considérés comme <em>dépolitisés</em> par des dizaines d'années de dictature. Mais rien n'était pensé pour faire suite à ces magnifiques soulèvements populaires. L'opportunité d'en finir avec l'ordre ancien n'a pas été saisie faute de préparation, si bien qu'en Tunisie comme en Égypte le processus constituant s'est enclenché : un gouvernement provisoire autoproclamé s'est installé, il a mis au pas le mouvement révolutionnaire, il a organisé des élections qui ont ramené – ou vont ramener – une sélection plus ou moins aggravée des notables de l'ancien régime. Le tout avec la bénédiction de l'Occident, rassuré de voir s'évanouir le spectre d'une véritable révolution arabe.</p></blockquote>
<blockquote><p>Ce n'est pas nouveau. La séquence <em>révolution populaire – gouvernement provisoire – élections – réaction</em> se retrouve à plusieurs reprises dans l'histoire.</p></blockquote>
<p>Voilà donc avec constance – il est fait référence à l'<a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Gouvernement_provisoire_de_1848" hreflang="fr">abdication de Louis Philippe</a> en février 1848, à la <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Sedan" hreflang="fr">débâcle du Second Empire</a> en septembre 1870, à la <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_allemande_de_1918-1919" hreflang="fr">révolution allemande</a> de 1918-1919, à la <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Gouvernement_provisoire_de_la_R%C3%A9publique_fran%C3%A7aise" hreflang="fr">Libération</a> en France conduisant à la IV<sup>e</sup> République, ou encore à la <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_civile_italienne" hreflang="fr">guerre civile italienne </a> de 1944-1945 – le processus qui relie révolutions et contre-révolutions : constitution d'un gouvernement provisoire autoproclamé et tenue rapide d'élections. Ces deux étapes étant d'ailleurs intimement liées :</p>
<blockquote><p>En faisant élire au plus vite une assemblée – généralement qualifiée de « constituante » – un gouvernement provisoire gagne sur deux tableaux. D'une part il assied une légitimité fragile que ne lui assure pas son caractère <em>autoproclamé</em> : il montre que ses intentions sont pures, qu'il n'entend pas garder le pouvoir. Et d'autre part, il évite que les « extrémistes » ne mettent le temps à profit pour répandre leurs idées. La population nourrie depuis toujours par la propagande du régime qui vient d'être abattu, votera <em>bien</em> et l'Assemblée aura la même couleur que la Chambre d'avant la révolution ou sera plus réactionnaire encore.</p></blockquote>
<p>Ainsi la première mesure révolutionnaire est de refuser toute légitimité à un gouvernement provisoire autoproclamé, celui-ci ne ferait que reproduire les structures du capitalisme démocratique et viendrait à l'encontre de notre objectif : devenir ingouvernables et le rester. L'insurrection ne doit justement pas n'être qu'une éclipse, dans laquelle la lumière de l'ordre établi serait promise à briller à nouveau après une transition obscure. Le renversement de l'ordre établi doit immédiatement ouvrir sur l'instauration d'un ordre social nouveau. Il ne peut être question d'une période transitoire, car celle-ci, en se reposant sur les fondations de ce qui vient d'être mis en ruine, conduirait inévitablement à sa reconstruction :</p>
<blockquote><p>Le plus difficile, le plus contraire au « bon sens », c'est de se défaire de l'idée qu'entre avant et après, entre l'ancien régime et l'émancipation en actes, <em>une période de transition</em> est indispensable. Ainsi, parce qu'il faut bien que le pays fonctionne, on conservera les structures administratives et policières, on continuera à faire fonctionner la machine sociale sur les pivots du travail et de l'économie, on fera confiance aux règles démocratiques et au système électoral, si bien que la révolution sera enterrée, avec ou sans les honneurs militaires.</p></blockquote>
<p>Il n'est donc pas question de définir programmatiquement, étape par étape, les mesures successives que pourrait prendre cet ordre social nouveau. Comme nous l'<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/11/12/Premieres-mesures-revolutionnaires-on-a-raison-de-se-revolter">avons déjà vu</a>, l'insurrection est appelée à se diffuser partout. Les mesures révolutionnaires doivent par conséquent éclairer la nuit globale qui englobera la chute du capitalisme démocratique.</p>
<blockquote><p>Ce dont il s'agit ici n'est pas de rédiger un programme mais de trouver des pistes, de suggérer des exemples, de proposer des idées pour <em>créer immédiatement l'irréversible</em>. Parmi ces pistes, beaucoup sont dessinées dans le paysage que nous connaissons le mieux, la France. Mais une telle démarche n'a rien à voir avec ce que fut en d'autres temps le « <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Socialisme_dans_un_seul_pays" hreflang="fr">socialisme dans un seul pays</a> ». La décrépitude du capitalisme démocratique est telle que son effondrement sera international, où que se situe le premier ébranlement.</p></blockquote>
<p>Il ne faudrait pas cependant que cette nuit ne soit qu'une source de frayeur. L'insurrection doit au contraire être un appel à produire librement lumière et chaleur, à même de rassurer. Sa texture n'est pas uniquement constituée d'opacité, au contraire :</p>
<blockquote><p>Mais partout il faut tenir compte d'un sentiment assez commun, la peur du chaos. Elle est sans cesse renforcée et exploitée par les idéologues de la domination mais on ne peut pas en déduire qu'elle puisse être traitée par le mépris. Personne n'envisage favorablement d'être plongé dans le noir sans rien à manger. Pour que l'immense force de rupture qui monte trouve le levier et s'en saisisse, la première condition est de dissiper cette peur qui existe en chacun de nous, de restaurer un rapport au monde débarrassé des angoisses de manque, de pénurie, d'agression qui font silencieusement la trame de l'existence <em>normale</em>. Mais surtout il faut parvenir à distinguer ces deux peurs que la domination amalgame avec soin : la peur du chaos et la peur de l'inconnu. Et cette dernière, c'est le moment révolutionnaire, ce qu'il ouvre, la joie qui ne manquera jamais de l'accompagner, qui la transforme en appétit de l'inconnu, en soif d'inédit. Du reste, on sous-estime toujours la capacité du peuple à se dépatouiller dans les situations exceptionnelles.</p></blockquote>
<p>Pour apporter une lumière, l'insurrection doit constamment se rappeler et prendre les mesures favorisant son but ultime – empêcher que nous redevenions gouvernables et gouvernés :</p>
<blockquote><p>À soi seul, l'écroulement de l'appareil de domination ne suffit jamais à construire du nouveau. Dès le lendemain de l'insurrection victorieuse, il faudra mettre en place ce qui interdira au passé de faire retour, et au reflux de prendre la forme d'un « retour à la normale ».</p></blockquote>
<p>Il s'agit donc que le pouvoir qui vient d'être chassé reste en exil et pour ce faire, il est possible de s'appuyer sur l'environnement dans lequel ce pouvoir fonctionnait et hors duquel il ne saurait assurer sa reproduction, car le pouvoir ne saurait justement plus comment s'exercer sorti de son cadre d'exercice habituel :</p>
<blockquote><p>L'appareil d'État s'est dissous, ses débris tournoient dans le vide. Ceux qui se réunissaient chaque semaine pour régler les affaires courantes et qu'on qualifiait contre toute évidence de « gouvernement » sont hébétés, éparpillés dans la nature, certains en fuite. Mais le premier moment passé, ils vont chercher à se retrouver, à se concentrer, à préparer la revanche. Pour qu'ils restent inoffensifs, il faut les maintenir dispersés. Ces gens-là fonctionnent par réunions, dans des bureaux, avec des dossiers. Nous les leurs ôterons : nous fermerons, nous ferons murer et garder tous les lieux où tournaient hier encore les rouages de l'État, du palais de l'Élysée à la plus reculée des sous-préfectures – ou nous y installerons des crèches, des hammams, des cantines populaires comme dans les hôtels de luxe à Barcelone en 1936. Nous couperons leurs lignes de communication, leurs intranets, leurs listes de discussion, leurs lignes téléphoniques sécurisées. Si les ministres déchus et les chefs de la police haïs veulent se réunir dans des arrière-salles de cafés, libre à eux. Privés de leurs bureaux, ces bureaucrates seront incapables d'agir.</p></blockquote>
<p>Cela ne veut pas dire qu'il faille occuper les lieux de pouvoir. Ceux-ci resteraient <em>lieux de pouvoir</em> – c'est-à-dire des lieux dans lesquels le pouvoir s'exerce et sait s'exercer – et cela reviendrait à remettre en place une forme ou une autre de gouvernement. Ce qu'il faut plutôt c'est que ces lieux soient réinvestis pour devenir des lieux dépourvus de tout pouvoir :</p>
<blockquote><p>Prendre les places laissées libres, s’asseoir dans les fauteuils vides et ouvrir les dossiers abandonnés serait la pire erreur. Nous n'y penserons même pas. Dans les villages, dans les quartiers, dans les usines, des lieux existent pour se réunir : cinémas, écoles, gymnases, cirques en évitant les amphis, qui rappellent tant d'AG interminables et mortifères.</p></blockquote>
<p>Ainsi, pour devenir à jamais ingouvernables, les premières mesures qui s'imposent sont de refuser la séquence habituelle de constitution d'un gouvernement provisoire, suivi d'élections, de bannir le pouvoir des lieux où il s'exerce et de bloquer les moyens par lesquels il s'exerce.</p>
<p>Ces mesures en appellent bien entendu d'autres, qui ne sont pas moins urgentes. Car il s'agit, dans ce contexte post-insurrectionnel, rien de moins que de réfléchir à comment nous allons exister. Enfin débarrassés de la domination qu'exerce le capitalisme démocratique sur l'intégralité de nos vies et de nos rapports, quelles nouvelles existences voulons-nous et pouvons-nous vivre ? L'argent et le travail sont les principaux piliers qui aujourd'hui régissent nos vies, comment les transformer, voire comment s'en passer ? Comment prendrons-nous des décisions ? Comment gérerons nous l'« environnement » à la décrépitude avérée que nous laisse le système que nous nous réjouissons de voir s'éteindre ? Que ferons-nous de ceux que nous aurons chassés et qui ne manqueront pas de vouloir revenir ? Quelle culture voulons-nous nous donner ?</p>
<p>Ce sont autant de questions qu'il faudra se poser, autant de thèmes à aborder, afin de prendre les mesures révolutionnaires nous permettant de rester à jamais ingouvernables. Éric Hazan et Kamo les explorent dans toute la suite de la deuxième partie de <em>Premières mesures révolutionnaires</em> et proposent des pistes, dont nous discuterons dans les prochains billets.</p>
<div class="footnotes"><h4 class="footnotes-title">Note</h4>
<p>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/11/24/Premieres-mesures-revolutionnaires-creer-l-irreversible#rev-pnote-17-1" id="pnote-17-1">1</a>] <q>Tout bloquer, voilà désormais le premier réflexe de tout ce qui se dresse contre l’ordre présent. Dans une économie délocalisée, où les entreprises fonctionnent à flux tendu, où la valeur dérive de la connexion au réseau, où les autoroutes sont des maillons de la chaîne de production dématérialisée qui va de sous-traitant en sous-traitant et de là à l’usine de montage, bloquer la production, c’est aussi bien bloquer la circulation.</q></p></div>
https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/11/24/Premieres-mesures-revolutionnaires-creer-l-irreversible#comment-formhttps://pascontent.sedrati.xyz/index.php/feed/atom/comments/17Premières mesures révolutionnairesurn:md5:204b3bd162fb8dbd30d170b1565a693e2013-11-04T21:24:00+01:002013-11-09T22:39:29+01:00gibusRessourcesHazanKamorapports de dominationrenversement<p><img src="https://pascontent.sedrati.xyz/public/hazan_kamo.jpg" alt="hazan_kamo.jpg" style="float:left; margin: 0 1em 1em 0;" title="hazan_kamo.jpg, nov. 2013" />On entend souvent que les révolutions ne se font qu'aux beaux jours – allant jusqu'à situer au <em><a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Printemps_arabe" hreflang="fr">printemps</a></em> les soulèvements de l'hiver 2011 dans le monde arabe. Il souffle pourtant sur l'automne 2013, un vent révolutionnaire dont les bourrasques se font sentir jusque dans la sacro-sainte <em><a href="http://www.arretsurimages.net/chroniques/2013-09-15/Rentree-comme-un-parfum-d-insurrection-id6116">rentrée littéraire</a></em>. Au milieu de ces rafales, un ouragan atteignant 12° sur l'<a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89chelle_de_Beaufort" hreflang="fr">échelle de Beaufort</a> : <a href="http://www.lafabrique.fr/catalogue.php?idArt=795">Premières mesures révolutionnaires</a> d'Éric <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Hazan">Hazan</a> et <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Kamo">Kamo</a>.</p>
<p>Ce petit livre d'à peine plus d'une centaine de pages, que j'ai dévorées en quelques heures, est d'une telle richesse, d'une telle densité, d'un tel foisonnement de questions, problématiques et sujets dont je désire traiter sur ce blog, qu'il nécessite d'y consacrer une série de billets, dans lesquels je reviendrai en détail sur le propos du livre d'Hazan et Kamo en le ponctuant de nombreuses citations.</p>
<p>Mais surtout, la force de cette tempête soufflée par <em>Premières mesures révolutionnaires</em> vient moins de ce qu'il y est couché par écrit que de ce qui est mis en branle et demande à être enrichi des multiples vents, bises, brises, alizés, zéphyrs, simouns, siroccos, ponants, moussons, foehns, mistrals ou tramontanes se déchaînant durant toute insurrection. Ce livre est avant tout une invitation à se joindre et amplifier la discussion qui bruisse dans ses pages. Je tenterai donc dans la série de billets s'ouvrant ici par une présentation globale du livre de répondre à cette invitation venteuse en insufflant mes propres commentaires et inspirations tout au long de la trame proposée par Éric Hazan et Kamo.</p> <p>Comme le suggère son titre, le sujet de <em>Premières mesures révolutionnaires</em> ne consiste pas dans une étude des conditions objectives ou subjectives permettant l'avènement d'une insurrection. Il s'agit plutôt de penser à ce qu'il importe de faire suivre immédiatement le <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/renversement">renversement</a> de l'ordre établi afin que perdure le nouvel ordre social qui en émergera. C'est ce que détaille sa préface, honnêtement intitulée <em>Au moment d'apporter les dernières corrections</em>, qui, au vu des divers soulèvements éclatant ces trois dernières années dans divers points du globe, s'ouvre sur l'indéniable constat suivant :</p>
<blockquote><p>Nous vivons un basculement historique. Ce qui s'effondre si visiblement rend par là même sa critique redondante. Ce qui naît sous nos yeux n'a pas encore de forme, pourrait aussi bien engendrer des monstres et défie donc toute velléité de le décrire. Dans une telle époque, tout commentaire se retrouve ramené au rang de bavardage. On ne peut parler que de son sein, depuis cette brèche d'où l'on entend craquer les fondations mêmes d'un ordre du monde finissant et bruisser les voix nouvelles.</p></blockquote>
<blockquote><p>Ce texte se propose humblement de rouvrir la question révolutionnaire. Il ne s'agit pas de pérorer sur la catastrophe du présent ni de démontrer « scientifiquement » l'inévitable effondrement du capitalisme. Nous ne tenons pas à spéculer sur l'imminence ou pas de l'insurrection. Elle est notre point de départ. Nous partons de ce qu'elle ouvre et non de ce qu'elle vient clore.</p></blockquote>
<p>Je crois que c'est ce passage délicieux qui, dès les premières pages de ma lecture, m'a enthousiasmé et laissé entrevoir que cette dernière promettait d'être fructueuse et constituerait une précieuse source d'inspiration et de réflexion pour ce blog.</p>
<p>Cela fait des années que je lis nombre d'articles, d'études et de livres entiers, que je regarde de multiples documentaires et reportages, que j'assiste à d'innombrables forums, conférences et débats décrivant en long, en large et en travers combien l'ordre social établi, basé sur le capitalisme, le néolibéralisme ou la mondialisation conduit à un tel degré d'oppression, à de tels <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/rapports%20de%20domination">rapports de domination</a>, qu'il est urgent de constater sa faillite, d'envisager d'autres manières de vivre, qu'en un mot « ça ne peut plus continuer comme ça ! » J'adhère à tous ces constats – avec plus ou moins d'affinité –, mais ceux-ci finissent par tourner en boucle, sans offrir véritablement un espoir de débouchés émancipateurs. Comme ce blog en témoigne, je suis tellement convaincu qu'une insurrection est inévitable, qu'il devient lassant de voir ou entendre répéter les mêmes critiques et arguments.</p>
<p>Éric Hazan et Kamo ne s'embarrassent pas de ces analyses de la déchéance de l'ordre social actuel. Ils ne s'ennuient pas à proposer un énième débat sur l'alternative entre réforme et révolution pour corriger ou renverser le système établi. Ils éludent à raison la question même de savoir si une insurrection est possible. C'est pour eux une certitude : elle est inéluctable !</p>
<p>Mieux vaut donc réfléchir à ce qui devra immédiatement succéder à cette inévitable insurrection. Les précédentes révolutions ont toutes à un moment ou un autre échoué, puisque malgré elles, l'injustice et l'inhumanité de l'ordre social dans lequel nous vivons ne fait plus aucun doute. Comment apprendre de ces échecs et que l'insurrection qui vient puisse faire perdurer un monde meilleur. Je suis d'avis qu'il s'agit non seulement de la meilleure question à se poser, de la seule qui mérite d'y travailler sérieusement, mais également que c'est bien là la meilleure manière de partager l'enthousiasme et emporter la conviction populaire nécessaire à l'avènement d'une telle insurrection.</p>
<p>Car enfin, pourquoi cette insurrection n'a pas déjà eu lieu ? La plupart des réponses que j'ai entendues jusqu'ici reposent sur le fait que les <em>masses populaires</em> ne seraient pas suffisamment conscientes de leurs propres misères pour avoir le désir de les combattre. Je ne le crois pas. Le problème est plutôt la résignation à cette misère. Et l'on ne déconstruit pas une résignation en répétant à satiété l'horreur de ce à quoi on se résigne. Cela ne peut avoir pour effet que d'accroître cette même résignation. Réfléchir à ce qu'il faudrait pour que la libération du carcan oppresseur auquel on se résigne soit définitive permet de susciter et partager l'espoir d'un avenir meilleur, si l'on abandonne cette attitude de résignation pour celle de l'insurrection.</p>
<p>Reste un écueil, celui de se comporter en avant-garde éclairée prescrivant autoritairement un catalogue de mesures au peuple, pour son propre bonheur évidemment. Hazan et Kamo évitent d'emblée de tomber dans ce travers :</p>
<blockquote><p>Nous ne proposons aucun programme, sauf peut-être celui de mettre les mains dans le cambouis et de nous pencher sur cette drôle de mécanique qu'est la révolution. Quels moyens mettre en œuvre afin de devenir ingouvernables et, surtout, de le rester ? Comment faire en sorte qu'au lendemain de l'insurrection la situation ne se referme pas, que la liberté retrouvée s'étende au lieu de régresser fatalement – en d'autres termes, quels moyens sont adéquats à nos fins ?</p></blockquote>
<p>Nos fins sont dans le même mouvement précisément définies : <em>devenir à jamais ingouvernables</em>. Rien ne saurait plus parfaitement exprimer le but ultime des réflexions sur l'insurrection que je mène sur ce blog. Devenir à jamais ingouvernables c'est mettre fin à la principale oppression régissant la vie de tout un chacun, et par là même à toute légitimation de toutes les oppressions. Devenir à jamais ingouvernables c'est cibler pour frapper en plein cœur le principe même de l'ordre social établi, tel qu'on l'<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/25/Le-poids-de-l-ordre-social-voltairien">a défini</a> : « un pays bien organisé est celui où le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui, et le gouverne ». Devenir à jamais ingouvernables, c'est abolir définitivement tout rapport de domination au profit des liens de <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/08/28/Et-la-fraternit%C3%A9%C2%A0-Bordel%C2%A0%21">fraternité</a>, dont la « force subversive par rapport aux institutions en tant que telles et à leur logique de cloisonnement » vient justement épauler cet objectif de devenir à jamais ingouvernables.</p>
<p>Devenir à jamais ingouvernables, c'est donc tout le contenu du livre d'Éric Hazan et Kamo qui suit cette présentation alléchante. Et c'est donc aussi ce que je développerai dans les prochains billets de cette série…</p>https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/11/04/Premieres-mesures-revolutionnaires#comment-formhttps://pascontent.sedrati.xyz/index.php/feed/atom/comments/15Et la fraternité ? Bordel !urn:md5:c521064a5d62cb4e3d3c91585fb877b12013-08-28T00:25:00+02:002017-11-21T00:11:44+01:00gibusInsurrectionConseil constitutionnelfraternitérapports de dominationrenversement<p>En me promenant près des Buttes Chaumont, dans le 19<sup>e</sup> arrondissement de Paris, je suis tombé sur un carrefour intriguant.</p>
<p><img src="https://pascontent.sedrati.xyz/public/.plan_paris_rues_liberte_egalite_fraternite_m.jpg" alt="plan_paris_rues_liberte_egalite_fraternite.png" style="display:table; margin:0 auto;" title="plan_paris_rues_liberte_egalite_fraternite.png, août 2013" /></p>
<p>La rue de la Liberté se heurte et se poursuit en rue de l'Égalité, rejetant perpendiculairement à leur intersection la rue de la Fraternité.</p>
<p>La première impression me venant à la vue de ce carrefour fut qu'il illustrait bien là, le peu de cas que l'on fait généralement du dernier terme de la triade républicaine française par rapport à ses deux illustres prédécesseurs que sont la liberté et l'égalité. Puis, immédiatement après, l'intuition que la fraternité possédait intrinsèquement un caractère subversif, propre à soutenir et motiver une insurrection.</p>
<p>Je vous propose donc dans ce billet d'embrasser ensemble le potentiel insurrectionnel porté par le concept de fraternité et pourquoi pas en musique :</p>
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<p><img src="https://pascontent.sedrati.xyz/public/.IMG_20130807_142436_s.jpg" alt="IMG_20130807_142436.jpg" style="float:left; margin: 0 1em 1em 0;" title="IMG_20130807_142436.jpg, août 2013" />Comme lorsque je me <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/29/S-attaquer-%C3%A0-la-propri%C3%A9t%C3%A9">suis attaqué</a> à la propriété, je souffre pour parler de la fraternité d'un manque de culture certain. Avant tout, en tant qu'enfant unique, je ne connais rien de la fraternité première : celle qui s'exprime au sein d'une fratrie. Cependant, il ne s'agit évidemment pas ici de discourir sur la fratrie des liens familiaux se jouant entre frères et sœurs nés des mêmes parents, mais de considérer la <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/fraternit%C3%A9">fraternité</a> au sens où elle fait de tout être humain mon frère en tant qu'enfant tout comme moi de l'espèce humaine.</p>
<p>Ce sentiment de fraternité ne m'est pas inconnu. J'ai toujours eu des amis très proches, au point qu'adolescent, j'appelais les deux ou trois principaux mes frères ou ma sœur. Nous avons grandi ensemble et vécu en même temps ce moment si important où l'on conquiert ses libertés individuelles. Dans les grands moments d'euphorie collective – concerts rock, coupe du monde de foot, manifestations – j'avoue avoir cédé avec plaisir à l'élan poussant chacun à serrer réciproquement son voisin dans ses bras. Mais c'est surtout dans les luttes que j'ai menées pour les libertés informationnelles, que j'ai ressenti une indubitable fraternité pour ceux avec qui j'ai échangé pendant des mois, voire des années, à propos d'un but qui nous était commun ; ceux avec qui j'ai œuvré à faire basculer les votes du Parlement européen ; ceux venant d'Allemagne, d'Angleterre, de Pologne, des Pays-Bas, de Belgique, de Suède, d'Espagne, d'Italie, de Grèce, d'Autriche, de Slovaquie, etc. avec qui nous nous réjouissions de nous sentir plus européens que les membres de la Commission européenne ou du Conseil de l'Union européenne ; bref : ceux qui ont été mes frères d'armes.</p>
<p><img src="https://pascontent.sedrati.xyz/public/.IMG_20130807_142545_s.jpg" alt="IMG_20130807_142545.jpg" style="float:right; margin: 0 0 1em 1em;" title="IMG_20130807_142545.jpg, août 2013" />Voilà à gros traits à quoi se résume mon expérience personnelle de la fraternité. J'ai l'impression de connaître plus précisément ses sœurs aînées – la liberté et l'égalité. J'ai par exemple directement combattu des atteintes à la liberté d'expression et m'enorgueillis d'avoir joué un rôle dans la prise de conscience qu'Internet est à notre époque une partie constitutive de cette dernière, ainsi que le <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Conseil%20constitutionnel">Conseil constitutionnel</a> l'<a href="http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2009/2009-580-dc/decision-n-2009-580-dc-du-10-juin-2009.42666.html">a reconnu</a> dans sa décision du 10 juin 2009 à propos de la <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_Cr%C3%A9ation_et_Internet" hreflang="fr">loi Hadopi</a> :</p>
<blockquote><p>12. Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : “La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi” ; qu'en l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d'accéder à ces services ;</p></blockquote>
<p><img src="https://pascontent.sedrati.xyz/public/.IMG_20130807_142605_s.jpg" alt="IMG_20130807_142605.jpg" style="float:left; margin: 0 1em 1em 0;" title="IMG_20130807_142605.jpg, août 2013" />Quant à l'égalité, elle est clairement définie dans tous les systèmes juridiques modernes comme soumettant tout homme aux mêmes lois. Il n'est que trop évident que cette égalité de droit se heurte à une inégalité de fait qui est à l'origine des <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/rapports%20de%20domination">rapports de domination</a> dont l'urgence d'un <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/renversement">renversement</a> <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/29/S-attaquer-%C3%A0-la-propri%C3%A9t%C3%A9">ne fait aucun doute</a>. En fin de compte, l'égalité est avant tout le principe juridique justifiant l'adage posant la principale limite à la liberté : ma liberté s'arrête là où commence celle d'autrui<sup>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/08/28/Et-la-fraternit%C3%A9%C2%A0-Bordel%C2%A0%21#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup> et que la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 <a href="http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/la-constitution/la-constitution-du-4-octobre-1958/declaration-des-droits-de-l-homme-et-du-citoyen-de-1789.5076.html">a traduit</a> dans son article 4 :</p>
<blockquote><p>La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.</p></blockquote>
<p>Ainsi, liberté et égalité ont été largement étudiées et ont trouvé une expression juridique consacrée constitutionnellement. Il en va tout autrement de la fraternité. La littérature des sciences humaines et politiques reste assez limitée sur le sujet. Mais c'est ce qui fait qu'il est envisageable de prendre connaissance des principales thèses avancées sur la fraternité. J'ai donc pu me plonger de manière relativement complète dans cette littérature. De la <a href="http://adasboro.tripod.com/lustiger.html">fraternité chrétienne</a> à celle <a href="http://www.ledifice.net/7014-3.html">maçonnique</a>, de son <a href="http://www.didzioji1.lt/fr/2011/12/02/kritinis-ir-filosofinis-zvilgsnis-i-brolyste/">concept philosophique</a> à son <a href="http://www.accpuf.org/les-actes-de-congres?id=27">application juridique</a> en passant par son <a href="http://revolution-francaise.net/2010/01/19/359-sur-le-principe-de-fraternite">évolution historique</a> et sa <a href="http://www.fernuni-hagen.de/imperia/md/content/philosophie/textdokumente/tehran.pdf">pratique politique</a>, je crois pouvoir rapporter ici la teneur essentielle de ce qui a été pensé, dit et écrit sur la fraternité.</p>
<p>La source la plus citée dans la littérature sur la fraternité semble être incontestablement l'ouvrage couronné par l'Université Panthéon-Assas (Paris II), Prix de thèse 1991, <em>La notion de fraternité en droit public français. Le passé, le présent et l'avenir de la solidarité</em> de Michel Borgetto. Je n'ai malheureusement pas pu accéder directement à cette <a href="http://www.lgdj.fr/theses/20885/notion-fraternite-droit-public-francais">thèse</a><sup>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/08/28/Et-la-fraternit%C3%A9%C2%A0-Bordel%C2%A0%21#wiki-footnote-2" id="rev-wiki-footnote-2">2</a>]</sup> mais il est possible de se faire une idée assez précise de son propos, grâce à des <a href="http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ridc_0035-3337_1996_num_48_1_5232">comptes-rendus de lecture</a>. Surtout, la richesse des informations recensées par Michel Borgetto transparaît dans les références qui sont faites à sa thèse, celle-ci dressant un panorama le plus exhaustif possible de l'évolution de la notion de fraternité dans la pensée politique et philosophique. Je reviendrai en outre sur l'importante distinction opérée entre la notion de fraternité et celle de solidarité, car cette différenciation a été reprise dans divers articles que j'ai pu étudier.</p>
<p>Si la thèse de Borgetto est certainement la plus citée dans les articles philosophiques, politiques et juridiques traitant de la fraternité, l'ouvrage le plus populaire dans les médias est accessoirement le livre de Régis Debray, <em>Le moment fraternité</em>, dont on peut aisément trouver des <a href="http://www.e-litterature.net/publier2/spip/spip.php?page=article5&id_article=728">critiques</a> – quasi-unanimement élogieuses – tant dans des <a href="http://www.lefigaro.fr/livres/2009/03/28/03005-20090328ARTFIG00003-regis-debray-corsaire-de-l-intelligence-.php">journaux généralistes</a> que dans des <a href="http://www.cetad.cef.fr/actualite_221-le-moment-de-fraternite-regis-debray.htm">revues théologique</a>, et même suivre quelques conférences données par l'auteur devant des publics aussi divers que des <a href="http://regisdebray.com/pages/pdf/la_fraternite_en_debat.pdf">clubs politiques</a> ou des <a href="http://www.gldf.org/fr/videos/conferences-2009-2010/338-colloque-du-13-mai-2009-regis-debray">loges maçonniques</a>. J'ai lu ce livre intégralement et j'avoue ne pas avoir été, pour ma part, convaincu par le médiologue. Nombre de conclusions sont tirées de prémisses axiomatiques avancées trop rapidement pour emporter l'adhésion, ou de comparaisons qui, bien que souvent justes, ne font que refléter une vision où de nombreux aspects restent dans des angles morts.</p>
<p>Ainsi le premier tiers de l'ouvrage est consacré à l'étude des caractéristiques du <em>sacré</em> – dégageant par exemple, l'omniprésence d'un cloisonnement – après qu'en une seule phrase l'auteur a posé que la fraternité consistait à faire un <em>nous</em> durable se référant toujours à une sacralité – religieuse ou non. Toutefois, selon Régis Debray, toute valeur sacralisée n'est pas bonne à prendre. Ainsi en va-t-il des Droits de l'Homme, qu'il décrit comme érigés en « religion de l'Occident contemporain » (ROC) et dont la critique acerbe fait l'objet de toute la seconde partie. Ce n'est qu'au dernier tiers du livre que la fraternité est finalement abordée. L'auteur y décrit ce qu'il pense péremptoirement être les quatre seules façons de <q>faire du <em>nous</em> avec du <em>on</em></q> : la fête, le banquet, la chorale et le serment, laissant le lecteur ignorant des moments alternatifs où se crée une fraternité. Enfin, quatre constats sont posés comme conditions nécessaires et suffisantes à l'établissement de toute fraternité : le besoin impérieux d'un « fratriarche », d'un chef ; la discrétion ou le secret coupant ceux et celles qui nouent entre eux des liens fraternels de ceux qui les liaient au reste du monde ; la nécessité d'un adversaire ; et l'exigence de quelque chose qui surpasse ce qui a vocation a faire du commun qui puisse durer.</p>
<p>S'il faut reconnaître au <em>Moment de fraternité</em> le mérite d'encourager à reconsidérer l'importance du concept de fraternité et de stimuler la réflexion sur maintes idées connexes, je ne puis que regretter qu'il laisse le lecteur sur sa faim. La déconstruction de cette notion opérée par Régis Debray semble s'arrêter là où elle permettrait de révéler et dégager tout le potentiel porté par l'idée de fraternité. Heureusement, cette lacune est aisément comblée par d'autres lectures. À commencer par celles relevant du domaine juridique.</p>
<p>J'<a href="https://pascontent.co-ment.com/text/qVklw72XHm4/view/?comment_id_key=pjf5Bg2Ls4Q">ai déjà fait remarquer</a> que Robespierre avait pour la première fois proposé de faire entrer le terme dans le projet complet de déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen en avril 1793, en revendiquant explicitement la fraternité entre les peuples contre les tyrans. Proposition qui ne fut finalement pas retenue. Déjà auparavant, il fut également le premier à proposer d'entériner – toujours sans succès – dans une loi la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » lors de son <a href="http://books.google.fr/books?id=pNxBAAAAcAAJ&printsec=frontcover"><em>Discours sur l'organisation des gardes nationale</em></a><sup>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/08/28/Et-la-fraternit%C3%A9%C2%A0-Bordel%C2%A0%21#wiki-footnote-3" id="rev-wiki-footnote-3">3</a>]</sup>. Mais ce n'est que lors de l'avènement de la seconde République en 1848, que le principe de fraternité a complété ceux de liberté et égalité pour devenir la devise officielle de la France. Et dans sa <a href="http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/la-constitution/la-constitution-du-4-octobre-1958/texte-integral-de-la-constitution-du-4-octobre-1958-en-vigueur.5074.html">version en vigueur actuellement</a>, la Constitution française ne fait toujours directement référence à la fraternité que comme composante de sa devise triadique<sup>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/08/28/Et-la-fraternit%C3%A9%C2%A0-Bordel%C2%A0%21#wiki-footnote-4" id="rev-wiki-footnote-4">4</a>]</sup>.</p>
<p>Mais c'est le <a href="http://www.un.org/fr/documents/udhr/#a1">premier article</a> de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 qui – comme un pied de nez prémonitoire à Régis Debray – explicitera le mieux le lien étroit liant les trois composantes de la devise française :</p>
<blockquote><p>Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.</p></blockquote>
<p>Ce seul article parvient à saisir de par sa structure grammaticale en deux propositions toute la <a href="http://www.u-picardie.fr/labo/curapp/revues/root/37/francois_rangeon.pdf_4a083159afa30/francois_rangeon.pdf">distinction</a> qu'il y a lieu de faire entre la liberté et l'égalité, d'une part, et la fraternité d'autre part. Les deux premières relèvent des « droits-libertés » : étant naturellement données à tout homme, l'objectif de la loi ne peut être que leur défense et leur préservation contre les attaques dont elles peuvent faire l'objet. Pour sa part, la fraternité est définie comme un devoir. Elle constitue elle-même l'objectif à atteindre et exige l'intervention de la société et de l'État pour devenir effective. Elle s'incarne d'ailleurs dans un ensemble de « droits-créances » exprimés dans le préambule de la Constitution de 1946<sup>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/08/28/Et-la-fraternit%C3%A9%C2%A0-Bordel%C2%A0%21#wiki-footnote-5" id="rev-wiki-footnote-5">5</a>]</sup>, qui leur a donné consistance, et dans les interprétations constitutionnelles, qui ont concrétisé leur application.</p>
<p>Dans le même mouvement, l'article premier de la Déclaration universelle des droits de l'homme réunit – comme la devise républicaine française – liberté, égalité et fraternité, en énonçant les trois termes au sein d'un alinéa unique, comme pour mieux affirmer l'inséparabilité de ces concepts. On ne saurait nouer de fraternité qu'entre des hommes libres et égaux. Mais ceux-ci ne sauraient pas davantage jouir de leur liberté et de leur égalité si ces dernières étaient envisagées hors d'un contexte de fraternité.</p>
<p>C'est exactement ce que soulève <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Gonthier" hreflang="fr">Charles Gonthier</a> dans <em><a href="http://www.accpuf.org/images/pdf/publications/actes_des_congres/c3/IV-RAPGEN/fratvalconst.pdf">La fraternité comme valeur constitutionnelle</a></em>, titre de son rapport général au <a href="http://www.accpuf.org/les-actes-de-congres?id=27">troisième congrès</a> de l'Association des Cours constitutionnelles ayant en partage l'usage du Français (ACCPUF) qui s'est tenu en juin 2003 à Ottawa :</p>
<blockquote><p>Revenons un moment sur la devise liberté, égalité, fraternité. Nos discussions montrent qu'on ne saurait, selon moi, parler d'une hiérarchie entre ces trois éléments. En effet, s'il est exact que la fraternité ne saurait exister qu'entre des hommes libres et égaux, il n'est pas moins vrai que la liberté et l'égalité ne sauraient subsister dans une société où la fraternité ne trouve pas sa place. La reconnaissance de cette interdépendance et l'intégration des valeurs essentielles à la fraternité dans l'ordre juridique des États membres resteront essentielles au maintien de la paix et de la démocratie en ce nouveau siècle.</p></blockquote>
<p>Ce juge à la Cour suprême du Canada a considérablement œuvré à ce que la puissance juridique de la fraternité soit prise en compte par la doctrine et l'on peut trouver dans ses travaux d'intéressantes réflexions permettant de mieux cerner le terme<sup>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/08/28/Et-la-fraternit%C3%A9%C2%A0-Bordel%C2%A0%21#wiki-footnote-6" id="rev-wiki-footnote-6">6</a>]</sup> :</p>
<blockquote><p>De mon point de vue, la fraternité est tout bonnement l'élément oublié de la démocratie qui, bien que rarement identifié, est néanmoins présent tout au long de notre système juridique. Elle est la colle qui relie la liberté et l'égalité à une société civile. Elle est intuitive. Elle est l'élément qui façonne une communauté. Elle fait progresser les objectifs d'impartialité et d'équité, de confiance et de sécurité et apporte un élément de compassion et de dévouement aux objectifs de liberté et d'égalité. Elle lie les individus partageant des valeurs et des objectifs similaires, non seulement à leurs voisins actuels, mais amène également un sens de continuité avec le passé et l'avenir.</p></blockquote>
<p><a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Guy_Canivet" hreflang="fr">Guy Canivet</a>, membre actuel du Conseil constitutionnel français, a parfaitement formulé, lors du colloque <em>Responsabilité, Fraternité et Développement Durable</em>, qui s'est tenu à l'Université McGill au Québec les 20 et 21 Mai 2011 en l'honneur de Charles Doherty Gonthier, l'importance qu'avait acquise le principe juridique de fraternité dans la conception du juge canadien<sup>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/08/28/Et-la-fraternit%C3%A9%C2%A0-Bordel%C2%A0%21#wiki-footnote-7" id="rev-wiki-footnote-7">7</a>]</sup> :</p>
<blockquote><p>Il y voyait un principe structurant de l'ordre juridique de toute démocratie, la matrice des valeurs constitutionnelles, l'indice de maturité de l'État de droit.</p></blockquote>
<p>On pourra trouver dans ce même papier de Canivet un résumé instructif de la conférence susmentionnée de l'ACCPUF, que le juge Gonthier avait orchestrée, et notamment de la contribution du Conseil constitutionnel français. Mais surtout, l'article se conclut en soulevant la fonction subversive de la fraternité. Le magistrat français y souligne qu'historiquement, on doit à la fraternité le renversement des valeurs aristocratiques de l'Ancien Régime, l'abolition de l'esclavage ou le processus de décolonisation ; et il appelle de ses vœux <q>le droit à reconsidérer la valeur de la fraternité afin d'agir sur une réalité tragique et rénover le système de droit</q> que ce soit en droit interne pour répondre aux questions liées à l'immigration, à l'intégration et à la tolérance, ou en droit international en ce qui concerne l'ingérence et l'interventionnisme militaire.</p>
<p>Cette simple évocation du potentiel subversif de la fraternité se poursuit dans le champ de la philosophie politique. Pas chez <a href="http://politique.eu.org/spip.php?article1483">John Rawls</a> où le terme est absent, remplacé par celui de justice distributive. Mais chez <a href="http://jeammarcdamien.unblog.fr/philop/la-fraternite/">Michel Damien</a> – cité d'ailleurs par Régis Debray comme étant l'un des trois seuls philosophes, avec Charles Renouvier et Jean-Paul Sartre, qui se sont penchés sur la fraternité – ou <a href="http://www.nouvellecite.fr/IMG/pdf/Mattei_Fraternit__.pdf">Bruno Mattéi</a>. Mais c'est la lecture d'un court article d'une vingtaine de pages, <em><a href="http://mercury.ethz.ch/serviceengine/Files/ISN/30461/ichaptersection_singledocument/74488a3f-92e8-49fa-af50-248c8c40098b/fr/Pages+from+37_inkova-9.pdf">Dangereuse fraternité ?</a></em> de Mark Hunyadi<sup>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/08/28/Et-la-fraternit%C3%A9%C2%A0-Bordel%C2%A0%21#wiki-footnote-8" id="rev-wiki-footnote-8">8</a>]</sup>, qui s'est avérée la plus fructueuse dans mes recherches. Je vous laisse tout d'abord en savourer la conclusion :</p>
<blockquote><p>La fraternité offre aux grandes valeurs institutionnelles liberté et égalité cette petite transcendance de la simple ouverture à autrui qui devrait les empêcher de se fossiliser en purs outils de gestion des droits subjectifs. Ainsi, au terme de ce parcours, la fraternité apparaît bien comme dangereuse, oui, mais pas comme l'entendent ses détracteurs d'aujourd'hui: elle n'est pas tant en danger d'exclure qu'en danger de rassembler, de relier et donc de rappeler les individus au lien élémentaire qui les unit, ce qui représente effectivement une menace permanente pour des institutions qui tendent à les isoler pour mieux s'autonomiser et donc, finalement, mieux les dominer.</p></blockquote>
<p>Pour en arriver là, je vous propose de voir ensemble dans le détail les <q>importantes ressources à la fois théoriques et pratiques</q> que Mark Hunyadi dégage de la notion de fraternité. À commencer par les divergences avec d'autres notions qui souvent l'éclipsent. La fraternité ne peut être confondue avec la <em>charité</em> chrétienne, car cette dernière est une vertu que l'on pratique au nom d'un principe – au nom du principe de fraternité, de l'amour du prochain, etc. Alors que la fraternité est justement un principe et non sa mise en œuvre. Il en va de même de l<em>'assistance</em> qui est également une pratique que l'on met en œuvre ou un dispositif que l'on met en place. Et cela vaut aussi pour l<em>'entraide</em> ou la <em>philanthropie</em>, cette dernière se distinguant d'autant plus qu'elle relève, pour reprendre une comparaison de l'historien Marcel David<sup>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/08/28/Et-la-fraternit%C3%A9%C2%A0-Bordel%C2%A0%21#wiki-footnote-9" id="rev-wiki-footnote-9">9</a>]</sup>, d'une attitude élitiste et paternalisme, alors que la fraternité <q>est peu ou prou empreinte d'égalité civile et privilégie l'aspiration à plus de dignité</q>.</p>
<p>La distinction est moins évidente avec la notion de <em>solidarité</em> qui tend de plus en plus à se substituer à celle de fraternité. Mark Hunyadi y voit une double raison. Tout d'abord, la solidarité serait plus séduisante car plus neutre du point de vue métaphysique – la fraternité véhiculant un héritage chrétien indéniable – ou sexuel – la trop forte connotation masculine du <em>frère</em> ayant fait surgir en opposition la notion de <a href="https://www.revue-ballast.fr/berengere-kolly-la-fraternite/">sororité</a> que Mark Hunyadi balaie simplement en dénonçant son intrinsèque manque d'universalité. Surtout, là où <q>la fraternité ne [peut] se décréter ni faire l'objet d'une loi</q>, la solidarité, <q>en reflétant en quelque sorte l'interdépendance des hommes en société, [repose] sur des bases quasi scientifiques et [peut] s'organiser en dehors de toute affectivité</q>, et par conséquent peut facilement se traduire en lois.</p>
<p>Cette seconde raison est particulièrement importante quant au potentiel subversif de la fraternité. En effet, face à la montée en puissance de l'autonomie de l'individu – définie dans la problématique kantienne par <q>la capacité de se donner à soi-même sa propre loi, c'est-à-dire cette capacité qu'a la volonté humaine de pouvoir se laisser déterminer par la seule force de la raison</q> – la fraternité représente une menace d<em>'hétéronomie</em> et d'aliénation – mettant en péril la souveraineté même de l'individu autonome et porteur de droits :</p>
<blockquote><p>C'est sans doute pourquoi, aussi, la solidarité s'est substituée à la fraternité, parce qu'à l'inverse de cette dernière, l'exigence de solidarité ne se réfère pas à un lien obscurément antérieur qui lierait le moi à autrui et qui m'encombrerait dans l'autonomie de mes choix, mais à un système organisé de juste distribution des ressources qui est parfaitement compatible avec la réciprocité intéressée d'un contrat social. En d'autres termes, l'exigence de solidarité ne contrevient pas à l'exigence d'autonomie, puisqu'elle se traduit dans un dispositif institutionnel qui <em>résulte</em> d'un contrat social et peut donc s'affirmer comme librement consenti. La fraternité, en revanche, semble <em>concurrencer</em> le projet même d'un contrat social, en menaçant l'autonomie individuelle qui est en son cœur.</p></blockquote>
<p>Et l'on voit ici que <q>la fraternité se réfère à un lien antérieur, ou extérieur à la politique institutionnelle, un lien qui serait censé subsister par-delà l'effondrement des institutions</q>. Or si l'on commence à parler de liens prépolitiques – c'est-à-dire se soustrayant <em>a priori</em> à toute discussion – on risque de rejoindre le concept de <em>communauté</em> qui fixe bel et bien, de manière indiscutable, une identité à partir d'un signe distinctif déterminant ce qui est inclus dans la communauté et ce qui en est extérieur. Cependant les liens prépolitiques de fraternité le sont <q>au sens où <em>ils se nouent en-deçà des institutions positives</em>, sans qu'ils soient – et ceci est décisif – naturels pour autant</q>. En effet, <q>si la notion de fraternité peut enrichir celle d'individu, et tout particulièrement celle d'individu libéral, elle le fait non pas comme on le fait du côté communautarien, en l'enchâssant dans un réseau de relations qui le dépasse, le définit et l'enserre – créant ainsi une boule de billard en gros –, mais <em>en l'ouvrant au contraire sur autrui</em>, non par un signe d'appartenance prépolitiquement donné, mais par simple reconnaissance</q>.</p>
<p>C'est en cela que <q>la fraternité complète la paire Liberté-Égalité d'une manière singulière : alors que la liberté et l'égalité nécessitent des institutions pour prendre corps et leur donner expression, la fraternité se déploie sur une couche nécessairement préinstitutionnelle, sous peine de retomber dans ce qu'elle n'est pas – ralliement communautaire ou dispositif d'assistance</q>. Plus encore, l'invocation de la fraternité <q>a une force subversive propre, une force subversive <em>des institutions elles-mêmes</em>. Alors que liberté et égalité ont une force subversive par rapport à des institutions déterminées qui nient ces valeurs, en l'occurrence celles de l'Ancien Régime, la fraternité a une force subversive par rapport aux institutions en tant que telles et à leur logique de cloisonnement</q>.</p>
<p>Cette opposition entre ouverture et cloisonnement fait taire les <a href="http://cisdl.org/gonthier/public/pdfs/papers/Conf%C3%A9rence%20Charles%20D%20Gonthier%20-%20Nathalie%20Desrosiers.pdf">critiques</a> craignant la charge d'exclusion que porterait la fraternité envers ceux qui ne sont pas reconnus comme frères – l'exemple le plus cité étant la terreur de 1793. Car elle est tout ce qui distingue la fraternité de la communauté. Cette dernière <q>se laisse toujours saisir dans un quelque chose que ses membres ont en commun</q>. Alors que <q>la fraternité procède d'une ouverture essentielle qui représente une menace pour toutes les clôtures institutionnelles</q>. Et cette opposition permet encore de révéler un caractère fondamental de la fraternité, qui, contrairement à la communauté et à ses marques identificatoires, <q>n'est pas un donné, pas un fait qu'on pourrait en quelque manière objectivement établir, mais une injonction ; elle ne confère pas un statut, mais révèle des liens ; elle se résume tout entière à être un appel, dont ses critiques n'ont que trop senti la force subversive. Sa force est dans cet effet même de subversion, que l'on neutralise d'ailleurs savamment lorsque l'on rabat, comme aujourd'hui, l'idée de fraternité sur la gestion de la solidarité</q>.</p>
<p>Et non seulement la fraternité se distingue de la communauté, mais elle permet de <q>dépasser la bipolarité sclérosée du débat bientôt trentenaire entre Libéraux et Communautariens</q> :</p>
<blockquote><p>Le paradoxe de l'individualisme moderne, c'est que l'individualisme partout proclamé consacre en réalité la victoire du système : la victoire de l'individu, c'est la victoire du système, parce que le système a fabriqué un individu libre et égal qu'il maîtrise et discipline parfaitement. L'individu d'aujourd'hui est en parfaite congruence avec le système, parce que c'est le système qui a fabriqué cet individu-là. […] Or, c'est précisément cette clôture du système sur lui-même que vient me semble-t-il fissurer l'injonction de fraternité, en brisant cette logique d'auto-perpétuation, où le système renforce l'individu qui par là même renforce le système. L'injonction de fraternité instille une modeste transcendance dans le système, en contribuant à la compréhension de soi comme soi accueillant. […] Face à ce resserrement progressif et potentiellement illimité, l'injonction de fraternité, dans sa dimension subversive des institutions et dans sa dimension performative au sens qui a été dit, opère un rappel – à mon sens rien moins que salutaire – d'une <em>extériorité des institutions</em>, en l'occurrence de toutes les institutions démocratiques et social-démocratiques qui font de la société un objet à gérer.</p></blockquote>
<p>Au terme de ce long billet<sup>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/08/28/Et-la-fraternit%C3%A9%C2%A0-Bordel%C2%A0%21#wiki-footnote-10" id="rev-wiki-footnote-10">10</a>]</sup>, je pense qu'il ne fait plus de doute que toute insurrection contre l'ordre social établi non seulement pourra s'appuyer sur la fraternité, mais devra compter sur celle-ci comme une absolue nécessité… comme les rues de la Liberté et de l'Égalité du 19<sup>e</sup> arrondissement de Paris s'appuient sur la rue de la Fraternité, sans quoi cet intriguant carrefour ne pourrait exister.</p>
<p>N'est-ce pas par cette injonction de fraternité que l'on atteint le perron suprême que Victor Hugo suggérait déjà dans <em><a href="http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Droit_et_la_Loi">Le droit et la loi</a></em> ?</p>
<blockquote><p>La formule républicaine a su admirablement ce qu'elle disait et ce qu'elle faisait ; la gradation de l'axiome social est irréprochable. Liberté, Égalité, Fraternité. Rien à ajouter, rien à retrancher. Ce sont les trois marches du perron suprême. La liberté, c'est le droit, l'égalité, c'est le fait, la fraternité, c'est le devoir. Tout l'homme est là. Nous sommes frères par la vie, égaux par la naissance et par la mort, libres par l'âme.</p></blockquote>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/08/28/Et-la-fraternit%C3%A9%C2%A0-Bordel%C2%A0%21#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] J'ai toujours été très réticent envers cet aphorisme. La fraternité ne serait-elle pas ce qui permet plus avantageusement à ma liberté et à celle d'autrui de commencer et s'arrêter ensemble ?</p>
<p>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/08/28/Et-la-fraternit%C3%A9%C2%A0-Bordel%C2%A0%21#rev-wiki-footnote-2" id="wiki-footnote-2">2</a>] La thèse de Michel Borgetto n'est apparemment pas disponible en format numérique et la version papier de ses 690 pages est quelque peu onéreuse pour qui ne fait pas de la fraternité son principal objet d'étude. Si toutefois un généreux lecteur désire m'<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/contact">offrir</a> cet ouvrage, je promets d'en publier ici un compte-rendu détaillé !</p>
<p>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/08/28/Et-la-fraternit%C3%A9%C2%A0-Bordel%C2%A0%21#rev-wiki-footnote-3" id="wiki-footnote-3">3</a>] <q>Elles porteront sur leur poitrine ces mots gravés : LE PEUPLE FRANÇOIS, et au dessous : LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ. Les mêmes mots seront inscrits sur leurs drapeaux, qui porteront les trois couleurs de la nation.</q></p>
<p>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/08/28/Et-la-fraternit%C3%A9%C2%A0-Bordel%C2%A0%21#rev-wiki-footnote-4" id="wiki-footnote-4">4</a>] Dans son préambule : <q>la République offre aux territoires d'outre-mer qui manifestent la volonté d'y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l'idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique</q> ; à son article 2 : <q>La devise de la République est “Liberté, Égalité, Fraternité”</q> ; et à son article 72-3 : <q>La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d'outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité</q>.</p>
<p>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/08/28/Et-la-fraternit%C3%A9%C2%A0-Bordel%C2%A0%21#rev-wiki-footnote-5" id="wiki-footnote-5">5</a>] Égalité de la femme (alinéa 3), droit d'asile (alinéa 4), droit au travail (alinéa 5), liberté syndicale (alinéa 6), droit au développement de l'individu et de la famille (alinéa 10), droit à la retraite, à protection sociale, au repos et aux loisirs (alinéa 11), droit à l'instruction (alinéa 13).</p>
<p>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/08/28/Et-la-fraternit%C3%A9%C2%A0-Bordel%C2%A0%21#rev-wiki-footnote-6" id="wiki-footnote-6">6</a>] <em><a href="http://cisdl.org/gonthier/public/pdfs/publications/Liberty_Equality_Fraternity_-_Charles_D_Gonthier.pdf">Liberty, Equality, Fraternity: The Forgotten Leg of the Trilogy, or Fraternity: The Unspoken Third Pillar of Democracy</a></em> (Liberté, Égalité, Fraternité : le membre oublié de la trilogie ou Fraternité : le troisième pilier de la démocratie passé sous silence), Charles D. Gonthier (2000), 45 R.D. McGill 567-589. Je traduis.</p>
<p>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/08/28/Et-la-fraternit%C3%A9%C2%A0-Bordel%C2%A0%21#rev-wiki-footnote-7" id="wiki-footnote-7">7</a>] <em><a href="http://cisdl.org/gonthier/public/pdfs/papers/Conf%C3%A9rence%20Charles%20D%20Gonthier%20-%20Guy%20Canivet.pdf">De la valeur de fraternité en droit français</a></em>.</p>
<p>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/08/28/Et-la-fraternit%C3%A9%C2%A0-Bordel%C2%A0%21#rev-wiki-footnote-8" id="wiki-footnote-8">8</a>] Dans <em><a href="http://www.unige.ch/ieug/publications/euryopa/inkova.pdf">Justice, Liberté, Égalité, Fraternité : sur quelques valeurs fondamentales de la démocratie européenne</a></em>, INKOVA, Olga (dir.), Genève, Institut Européen de l'Université de Genève, 2006.</p>
<p>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/08/28/Et-la-fraternit%C3%A9%C2%A0-Bordel%C2%A0%21#rev-wiki-footnote-9" id="wiki-footnote-9">9</a>] <em><a href="http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahrf_0003-4436_1994_num_295_1_1608_t1_0134_0000_2">Le printemps de la fraternité - Genèse et vicissitudes, 1830-1851</a></em>, Marcel DAVID, Paris, Aubier, 1992, p 19.</p>
<p>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/08/28/Et-la-fraternit%C3%A9%C2%A0-Bordel%C2%A0%21#rev-wiki-footnote-10" id="wiki-footnote-10">10</a>] Fruit cependant d'une bien courte étude de quelques semaines lorsque l'on considère la quinzaine d'années de travail consignées dans la <a href="http://www.lgdj.fr/theses/20885/notion-fraternite-droit-public-francais">thèse</a> de Michel Borgetto… je le rappelle de manière pas si subliminale que ça au cas où quelqu'un pourrait fraternellement la <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/contact">partager</a> ;-)</p></div>
https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/08/28/Et-la-fraternit%C3%A9%C2%A0-Bordel%C2%A0%21#comment-formhttps://pascontent.sedrati.xyz/index.php/feed/atom/comments/12Le poids de l'ordre social voltairienurn:md5:c8e432a6ae534023d8daeef87c4dd7fa2013-07-25T09:19:00+02:002017-02-06T19:55:42+01:00gibusInsurrectionconservationFerréGuilleminHollandepropriétérapports de dominationrenversementSarkozyVoltaire<blockquote><p>L'esprit d'une nation réside toujours dans le petit nombre qui fait travailler le grand, est nourri par lui, et le gouverne.</p></blockquote>
<p>Cette citation de <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Voltaire">Voltaire</a> revient comme un refrain dans les exposés – ô combien instructifs – d'<a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Guillemin" hreflang="fr">Henri Guillemin</a> <a href="http://www.rts.ch/archives/dossiers/henri-guillemin/">diffusés</a> par la radio télévision suisse. Bien évidemment, à propos de la Révolution de 1789 et de l'avènement d'une richesse mobilière – banquiers, affairistes, riches commerçants – succédant à la richesse immobilière – noblesse et clergé. Mais on retrouve également cette citation pour illustrer la prise de pouvoir de Napoléon, ou la politique intérieure poursuivie par Adolphe Thiers en 1870 et pendant l'insurrection de la Commune de Paris. Ou encore lors de l'inexorable progression vers la première guerre mondiale durant les gouvernements successifs de la III<sup>e</sup> République sur fond de déchirements vis-à-vis de la mise en place d'un impôt sur le revenu. À toute époque, cette conception voltairienne de l'ordre social a été ce qui a guidé la conduite des affaires politiques, tant intérieures qu'extérieures.</p>
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<p>Il semble qu'il ne faille pas cesser de rappeler cette citation, tant elle illustre toujours aussi parfaitement à l'heure actuelle l'essence même de ce qui ordonne les rapports sociaux.</p> <p>Par honnêteté intellectuelle, commençons par reprendre la citation de Voltaire, <a href="http://fr.wikisource.org/wiki/Essai_sur_les_m%C5%93urs/Chapitre_155">tirée</a> de l<em>'Essai sur les mœurs et l'esprit des nations</em>, dans son intégralité, y compris la note de bas de page vers laquelle elle revoie :</p>
<blockquote><p>Quand nous parlons de la sagesse qui a présidé quatre mille ans à la constitution de la Chine, nous ne prétendons pas parler de la populace ; elle est en tout pays uniquement occupée du travail des mains <span class="small">[4]</span> : l’esprit d’une nation réside toujours dans le petit nombre, qui fait travailler le grand, est nourri par lui, et le gouverne. Certainement cet esprit de la nation chinoise est le plus ancien monument de la raison qui soit sur la terre.
<span style="display:block;" class="small">[4] C’est une suite naturelle de l’inégalité que les mauvaises lois mettent entre les fortunes, et de cette quantité d’hommes que le culte religieux, une jurisprudence compliquée, un système fiscal absurde et tyrannique, l’agiotage, et la manie des grandes armées, obligent le peuple d’entretenir aux dépens de son travail. Il n’y a de populace ni à Genève, ni dans la principauté de Neuchâtel. Il y en a beaucoup moins en Hollande et en Angleterre qu’en France, moins dans les pays protestants que dans les pays catholiques. Dans tout pays qui aura de bonnes lois, le peuple même aura le temps de s’instruire, et d’acquérir le petit nombre d’idées dont il a besoin pour se conduire par la raison.</span></p></blockquote>
<p>Il ne s'agit pas ici de faire le procès de Voltaire, ni de discuter d'un éventuel bémol que viendrait apporter la note de bas de page à la férocité du propos principal, ni encore de reprocher à Henri <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Guillemin">Guillemin</a> de ne citer la pensée voltairienne qu'avec approximation, remplaçant le sujet original <em>l'esprit d'une nation</em> par <em>un pays bien organisé</em>. Ce qui m'importe est que Voltaire décrit ici très exactement les <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/rapports%20de%20domination">rapports de domination</a> dont la <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/conservation">conservation</a> ou le <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/renversement">renversement</a> ont toujours fondé – et continuent de constituer – le cœur de l'action politique.</p>
<p>Car enfin, comment ne pas faire le froid constat qu'il n'a jamais été question d'autre chose dans toutes les prises de pouvoir que de savoir à quel degré ceux qui gouverneront infléchiront cet ordre social si clairement défini dans la citation de Voltaire ? Exceptionnellement – en août 1792, quelques jours en 1848, moins de deux mois en 1871… — l'angle d'inflexion parvient à être obtus. Jamais – à ma connaissance – il n'a été plat et encore moins rentrant. La plupart du temps, il est aigu. C'est-à-dire que le nouveau pouvoir est destiné à préserver l'ordre social. Et comment en serait-il autrement, puisque cet ordre social cristallisé dans les écrits de Voltaire consiste précisément à ce que le pouvoir demeure entre les mains d'un petit nombre de gens ? Mais pas seulement : le grand nombre, qui ne doit en aucun cas accéder au pouvoir, doit être mis au travail – tâche qui en plus a le grand mérite, selon la note de bas de page de Voltaire, d'empêcher cette masse populaire de seulement réfléchir à sa situation, sans parler de la remettre en cause – par ceux qui le gouvernent afin que ces derniers puissent non seulement continuer à vivre dans l'opulence, mais à s'en nourrir, c'est-à-dire à s'en engraisser.</p>
<p>Il n'est qu'à regarder les deux dernières prises de pouvoir en France. En 2007, il ne faisait aucun doute que le candidat à l'élection présidentielle le mieux placé était Nicolas <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Sarkozy">Sarkozy</a>. Issu lui-même du petit nombre des possédants appelé à faire travailler le peuple, s'en nourrir et le gouverner. Et cette prise de pouvoir s'est faite de manière impudique en exaltant la « valeur travail », c'est-à-dire en affichant ouvertement qu'une fois au pouvoir, le candidat Sarkozy œuvrerait pour les seuls intérêts du petit nombre, auquel il s'est toujours glorifié d'appartenir. Le « bouclier fiscal » fut logiquement son premier fait d'arme dont l'intitulé soigneusement choisi ne pouvait manquer de poser le président Sarkozy en défenseur courageux de ce petit nombre, qu'on ne peut s'empêcher d'imaginer recroquevillé de peur sous son édredon, frissonnant à l'idée que la plèbe puisse lui arracher ne serait-ce qu'une parcelle de sa propriété – sacrée – en brandissant l'arme non conventionnelle et de destruction massive qu'est l'impôt !</p>
<p>Décomplexés furent la prise de pouvoir et son exercice par Sarkozy. Trop décomplexés ! Cela commençait à être trop voyant avaient pourtant <a href="http://www.lemonde.fr/livres/article/2010/09/07/le-president-des-riches-enquete-sur-l-oligarchie-dans-la-france-de-nicolas-sarkozy-de-michel-pincon-et-monique-pincon-charlot_1407835_3260.html">prévenu</a> <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Monique_Pin%C3%A7on-Charlot" hreflang="fr">Monique Pinçon-Charlot</a> et <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Pin%C3%A7on" hreflang="fr">Michel Pinçon</a> dans <em>Le Président des riches, enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy</em><sup>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/25/Le-poids-de-l-ordre-social-voltairien#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>.</p>
<p>Rien d'étonnant donc à ce que Sarkozy ne soit plus en 2012 le candidat le mieux à même de protéger les intérêts de ce petit nombre qui fait travailler le grand, est nourri par lui et le gouverne. Rien d'extraordinaire non plus à ce que ce rôle soit dévolu à François <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Hollande">Hollande</a>, candidat de ce qu'on <a href="http://www.liberation.fr/politiques/2013/04/11/hollande-extremiste-du-centre-gauche_895633">peut désigner</a> par « <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Centre_gauche" hreflang="fr">centre gauche</a> ».</p>
<p>L'extrait sonore d'Henri Guillemin ci-dessus introduisait la citation de Voltaire, mais rappelait également ce qu'a été la création du centre-gauche par Adolphe Thiers en 1871 : le ralliement du petit nombre des possédants à l'idée de République, comme étant le système de gouvernement le plus apte à maintenir ce petit nombre dans sa position de gouvernant. Certes, on ne désigne plus aujourd'hui par <em>centre-gauche</em> ce qui en 1871 était en fait un parti au paroxysme du conservatisme de droite. On entend que le président Hollande est un homme de gauche modérée, avec suffisamment de modération pour insensiblement glisser vers le centre. Et bien on entend fort mal !</p>
<p>Car le président Hollande mène bel et bien une politique qui, une fois encore, s'évertue à conserver au petit nombre le pouvoir de faire travailler le grand nombre, d'être nourri par lui et de le gouverner. Au point que <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A9d%C3%A9ric_Lordon">Frédéric Lordon</a> va jusqu'à <a href="http://blog.mondediplo.net/2013-04-12-Le-balai-comme-la-moindre-des-choses">rejeter</a> de qualifier de <em>gauche</em> le gouvernement Hollande. On ne peut que le suivre lorsqu'il propose qu'un critère permettant de tracer une ligne de partage entre droite et gauche soit la réaction de validation ou de contestation de la prise en otage des moyens de la vie matérielle collective, opérée par le capital :</p>
<blockquote><p>Validée, et tout est fait pour donner satisfaction au capital, c’est-à-dire consentir à un état des choses qui fait jouer le jeu de l’économie à ses conditions — c’est la droite. Contestée, et la capture privative du bien collectif en quoi consistent les conditions de la vie matérielle de la société est jugée intolérable en principe, les structures économiques sont modifiées pour en contrecarrer les effets, éventuellement les annuler en visant une sortie du capitalisme, en tout cas identifier comme seul objectif politique pertinent de rendre du pouvoir au grand nombre contre le petit — c’est la gauche.</p></blockquote>
<p>Force est de constater qu'en ayant choisi de préserver l'ordre social voltairien, il convient en effet de qualifier l'exercice du pouvoir par François Hollande de politique de droite. Un telle constatation est devenue inévitable depuis l'adoption de la <a href="http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnTexteDeJorf?numjo=ETSX1303961L">loi n° 2013-504 du 14 juin 2013</a> « relative à la sécurisation de l'emploi ». Comment un gouvernement revendiquant d'être <em>de gauche</em> – de même qu'un syndicat, la CFDT, prétendant à la même qualification – peut-il honnêtement accepter de s'allier avec les organisations patronales pour proposer une mesure<sup>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/25/Le-poids-de-l-ordre-social-voltairien#wiki-footnote-2" id="rev-wiki-footnote-2">2</a>]</sup> telle que la possibilité pour les employeurs de diminuer la rémunération des salariés ?</p>
<p>Allons ! C'est une mesure thermidorienne ! C'est l'instauration en juillet 1794 d'un <em>maximum</em> sur les salaires, mesure échafaudée pour précipiter la chute de Maximilien Robespierre, qui avait eu l'audace d'instaurer un an auparavant un <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_du_maximum_g%C3%A9n%C3%A9ral">maximum</a> sur les prix des denrées de base. C'est en tout cas, indiscutablement, une mesure voltairienne pour la satisfaction de ce petit nombre qui fait travailler le grand nombre.</p>
<p>Quel est ce petit nombre ? Comment déterminer qui en fait ou non partie ? La réponse ici encore nous est donnée par ce coup de grâce à la révolution du grand nombre qu'a été la réaction thermidorienne : ce petit nombre ce sont les gens de biens, c'est-à-dire qui possèdent des biens, les possédants. Bref, cet ordre social voltairien reste déterminé par un facteur discriminant unique : la <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/propri%C3%A9t%C3%A9">propriété</a>. Il suffit de relire la reformulation de la citation de Voltaire que François-Antoine, comte de Boissy d'Anglas, proféra lors de l'établissement de la constitution de 1795 :</p>
<blockquote><p>Nous devons être gouvernés par les meilleurs : les meilleurs sont les plus instruits et les plus intéressés au maintien des lois ; or, à bien peu d’exceptions près, vous ne trouverez de pareils hommes que parmi ceux qui, possédant une propriété, sont attachés au pays qui la contient, aux lois qui la protègent, à la tranquillité qui la conserve et qui doivent à cette propriété et à l'aisance qu'elle donne et l'éducation qui les a rendus aptes à discuter avec sagacité et justesse, les avantages et les inconvénients des lois qui fixent le sort de la patrie. […] Un pays gouverné par les propriétaires est dans l’ordre social ; celui où les non-propriétaires gouvernent est dans l’état de nature.<sup>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/25/Le-poids-de-l-ordre-social-voltairien#wiki-footnote-3" id="rev-wiki-footnote-3">3</a>]</sup></p></blockquote>
<p>C'est sur cette notion de <em>propriété</em> qu'il conviendra de revenir dans un prochain billet. En attendant, comment ne pas retenir combien cet ordre social énoncé par Voltaire pèse encore et toujours sur nos vies ? Si l'insurrection est plus que jamais inévitable, son objectif premier doit bien être d'alléger, de délivrer, de libérer le grand nombre de cette oppression.</p>
<p>Léo <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Ferr%C3%A9">Ferré</a> a magnifiquement dépeint l'objet de cette nécessaire insurrection :</p>
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<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/25/Le-poids-de-l-ordre-social-voltairien#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] <em>« L’arbitraire de la domination et le népotisme ne doivent pas apparaître au grand jour, pour laisser aux classes dominées l’illusion que les qualités et le mérite sont bien à la base des choix du président de la République »</em>, livre accessible gratuitement <a href="http://www.editions-zones.fr/spip.php?id_article=116&page=lyberplayer">en ligne</a>, voir également les citations compilées sur <a href="http://fr.wikiquote.org/wiki/Monique_Pin%C3%A7on-Charlot">Wikiquote</a>.</p>
<p>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/25/Le-poids-de-l-ordre-social-voltairien#rev-wiki-footnote-2" id="wiki-footnote-2">2</a>] <a href="http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do?idArticle=JORFARTI000027546920&cidTexte=JORFTEXT000027546648&dateTexte=29990101&categorieLien=id">Article 17 créant l'article L. 5125-1. - I. du code du travail</a> : <q>En cas de graves difficultés économiques conjoncturelles dans l'entreprise dont le diagnostic est analysé avec les organisations syndicales de salariés représentatives, un accord d'entreprise peut, en contrepartie de l'engagement de la part de l'employeur de maintenir les emplois pendant la durée de validité de l'accord, aménager, pour les salariés occupant ces emplois, la durée du travail, ses modalités d'organisation et de répartition <strong>ainsi que la rémunération</strong> <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/25/…" title="…">…</a></q> (je souligne).</p>
<p>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/25/Le-poids-de-l-ordre-social-voltairien#rev-wiki-footnote-3" id="wiki-footnote-3">3</a>] F.-A. Boissy d'Anglas, <em>Discours préliminaire</em>, 5 messidor an III (23 juin 1795), Paris an III, cité par Le Bozec Christine. <em>Le républicanisme du possible : les opportunistes. (Boissy d'Anglas, Lanjuinais, Durand -Maillane. .)</em>. In: <a href="http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahrf_0003-4436_1995_num_299_1_1882">Annales historiques de la Révolution française. N°299, 1995. pp. 67-74</a>.</p></div>
https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/25/Le-poids-de-l-ordre-social-voltairien#comment-formhttps://pascontent.sedrati.xyz/index.php/feed/atom/comments/7J'ai comme envie d'une insurrection non pacifiqueurn:md5:bc8afe8a83915393896d85d99a391f432013-07-19T06:30:00+02:002018-05-02T17:34:22+02:00gibusPas content !bloggazouillisinsurrectionliberté d expressionnon pacifiquerapports de dominationrenversement<p><a href="https://twitter.com/gibus/status/354855399129759744" title="gazouillis insurrection"><img src="https://pascontent.sedrati.xyz/public/.gazouillis_insurrection_m.jpg" alt="gazouillis_insurrection.png" style="display:table; margin:0 auto;" title="gazouillis insurrection, juil. 2013" /></a></p>
<p>Tout est parti de ce <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/gazouillis">gazouillis</a>. Ça faisait un moment que ça montait. J'ai envie de dire 42 ans – mon âge. Depuis toujours je sens en moi une colère et une envie grandissante de la faire sortir. 140 caractères ne suffisent plus. Voilà pourquoi j'ouvre ce <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/blog">blog</a>.</p>
<p>Il est d'usage de commencer un blog en y explicitant sa motivation et en laissant présager ce qu'on y trouvera. Ce billet se propose de peindre ce tableau.</p> <p>J'ai pourtant tardé à ouvrir un blog. Alors que ça fait plus de 20 ans que j'ai conscience du formidable <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/renversement">renversement</a> qu'opère Internet sur l'exercice de la <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/libert%C3%A9%20d%20expression">liberté d'expression</a>, j'étais jusqu'ici resté imperméable à toute envie de maintenir un blog.</p>
<p>Je suis quelqu'un de profondément méditatif et j'ai depuis toujours l'envie d'exprimer les pensées qui m'habitent pour qu'elles participent du débat public. Adolescent, j'ai concrétisé cette envie dans l'écriture de <a href="http://gibus.sedrati-dinet.net/static_poems.html">poésies</a>. L'arrivée d'Internet m'<a href="http://gibus.sedrati-dinet.net/moving.html">a inévitablement poussé</a> à publier celles-ci en ligne.</p>
<p>C'était aux alentours de 1995, à cette époque le mot « blog » n'existait même pas. Connaissant plusieurs langages de programmation, l'écriture directe en <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Hypertext_Markup_Language" hreflang="fr">HTML</a> de ce que je voulais publier était toute naturelle. C'est ainsi que j'ai écrit et ouvert mon <a href="http://gibus.sedrati-dinet.net">site personnel</a>. Pour mes activités professionnelles ou activistes, j'ai profité de l'éclosion des <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Syst%C3%A8me_de_gestion_de_contenu" hreflang="fr">systèmes de gestion de contenu</a> pour tester ces logiciels permettant de se passer de connaissances en programmation informatique pour mettre en ligne des contenus. J'ai donc installé un premier blog au sein de mon site. Celui-ci étant plus un outil de test qu'un véritable espace où exprimer mes pensées , il a vite périclité et, faute de n'avoir eu le temps de faire les mises à jour nécessaires, il est hors ligne depuis quelques années. J'ai tout de même repris ici les <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2003/07/15/Pas-de-Jose--pas-de-defile%C2%A0%E2%80%93-Mon-14-juillet-au-poste">deux</a> <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2005/05/23/Au-NON-de-la-Democratie">billets</a> publiés alors. Ce qui fait que le premier billet de ce blog que vous êtes en train de lire n'est pas le plus ancien !</p>
<p>Outre les contraintes familiales et professionnelles, mes <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/pages/A-propos-de-l-auteur">engagements associatifs</a> ne m'ont progressivement plus laissé de temps pour m'exprimer publiquement sur des sujets autres que ceux directement traités dans cet activisme. L'arrivée des réseaux de <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Microblog" hreflang="fr">microblog</a> a pallié quelque peu à ce besoin de s'exprimer sans pouvoir y passer trop de temps. Mais, justement, il est des pensées qui demandent à être développées.</p>
<p>C'est le cas de cette envie d'<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/insurrection">insurrection</a> non pacifique. Il est nécessaire d'expliciter ce qui fait naître et nourrit cette envie. Dire pourquoi l'insurrection est la seule réponse possible au renversement des <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/rapports%20de%20domination">rapports de domination</a>, car c'est bien ce renversement qui me semble constituer une urgente priorité. Et évidemment, s'expliquer sur le caractère <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/non%20pacifique">non pacifique</a> de cette insurrection désirée.</p>
<p>Voilà ce qui devrait constituer l'inspiration de ce blog. Je ne sais pas dans quelle mesure il sera lu. J'espère le plus possible. Mais quoi qu'il en soit, je tiens à apporter ma pierre à la barricade !</p>
<p>A priori, les billets réagiront à l'actualité, comme dans tout blog qui se respecte assez pour offrir un propos s'inscrivant dans le temps plutôt que d'exposer une thèse figée. Cependant, je tiens à conserver suffisamment de recul pour ne pas laisser s'imposer insidieusement un agenda décidé par la sphère politico-médiatique dominante. Il y aura donc également des billets revenant sur des événements passés, ou puisant leur source dans des livres, musiques, films, œuvres d'art, discours politiques, etc. que ceux-ci soient contemporains ou non. Je ne sais pas encore à quel rythme s'enchaîneront les publications, mais je vais tâcher de maintenir une fréquence d'au minimum un billet hebdomadaire.</p>
<p>Voilà, tout est en place, il ne me reste plus qu'à écrire pour alimenter ce blog. Merci de le lire !</p>https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/19/J-ai-comme-envie-d-une-insurrection-non-pacifique#comment-formhttps://pascontent.sedrati.xyz/index.php/feed/atom/comments/6