juil.142021
À Philippe Aigrain
dans la catégorie Au comptoir
Le 6 juillet 2005, Philippe m'a tenu dans ses bras et embrassé sur la joue.
Nous étions en pleurs, avec ces larmes de joie impossibles à contenir lorsque la vie fait cadeau d'une victoire à des compagnons de lutte dans un combat de longue haleine.
Ce jour-là, nous étions à Dijon où nous devions chacun donner une conférence aux Rencontres Mondiales du Logiciel Libre. Mais c'est vers Strasbourg que Philippe et moi portions toutes nos pensées. Là-bas, le Parlement européen, dans une décision historique, rejetait la proposition de directive sur les brevets logiciels. Nous avions été parmi les acteurs qui depuis des années œuvraient pour ce rejet.
C'est par ses écrits sur les brevets logiciels que j'ai connu Philippe.
Philippe était informaticien, un de ceux qui savent ce qu'est l'essence de l'informatique, que les machines de Turing, le lambda-calcul de Church ou les fonctions récursives de Kleene, sont des méthodes mathématiques équivalentes pour décrire ce que fait un programme d'ordinateur. Qu'un brevet logiciel en est une autre formulation, sous la forme d'un droit abjecte par nature, puisqu'il vient confisquer une partie de la connaissance qui réside dans ce programme d'ordinateur.
Les écrits de Philippe sur ce sujet ont fait de lui mon mentor. Son amical baiser de Dijon en a fait avant tout un compagnon.
C'est tout naturellement à lui que nous avons fait appel pour élaborer des propositions positives sur le droit d'auteur dans l'aventure de la Quadrature du Net. Il fut de ceux qui sont parvenus à faire inscrire dans la jurisprudence constitutionnelle que l'accès à Internet est dans notre société une composante nécessaire de la liberté d'expression.
Philippe était un homme de l'écrit. Sous toutes ses formes. Son engagement pour la culture de l'écrit, ou sous toutes ses formes, alliait une pratique qui allait de la poésie aux textes politiques en passant par la modélisation de modèles économiques permettant justement de favoriser la diffusion de la culture.
Car Philippe était un homme de liens. Pour lui, c'est à cela que la connaissance et que la culture devaient œuvrer : tisser des liens entre les gens ! Et il y a si bien contribué, que même la mort ne parvient pas à défaire ceux qu'il avait noués tout autour de lui.