Vous avez dit « propriété intellectuelle » ? Un séduisant mirage
C'est là le titre d'un article de Richard Stallman, que j'ai déjà brièvement évoqué sur ce blog. Il s'agissait alors pour moi, en l'absence de connaissances théoriques approfondies à propos de la propriété, de l'aborder à partir de mon expérience de ce qu'on nomme « propriété intellectuelle ». J'y rappelais toutefois que la critique de Stallman de la notion de « propriété intellectuelle » était double. D'une part, on range sous ce vocable une telle quantité de droits […] comportant tant de différences les uns avec les autres, que tout discours voulant englober tous ces droits conduit à des généralisations absurdes
. D'autre part, parler de “propriété intellectuelle” en ce qui concerne ces droits fort différents les uns des autres insinue une analogie avec les droits de propriété tels qu'on les conçoit ordinairement sur des objets physiques, matériels
.
Il est temps d'approfondir cette réflexion sur la « propriété intellectuelle ». Ce bref rappel du double argumentaire résumant l'article de RMS – acronyme usuel pour désigner Richard Matthew Stallman – est peu ou prou l'interprétation qui en a été donnée par les militants du logiciel libre, qui en tirent pour toute conclusion que « propriété intellectuelle » est un terme à éviter et qu'une critique claire ne peut reposer que sur chacun des droits disparates masqués par cette appellation générique trompeuse, paraphrasant ainsi la propre conclusion de Richard Stallman :
Si vous voulez réfléchir clairement aux problèmes soulevés par les brevets, les copyrights, les marques déposées ou diverses autres lois, la première étape est d'oublier l'idée de les mettre toutes dans le même sac, de les traiter comme des sujets séparés. La deuxième étape est de rejeter les perspectives étriquées et l'image simpliste véhiculées par l'expression « propriété intellectuelle ». Traitez chacun de ces sujets séparément, dans son intégralité, et vous aurez une chance de les examiner correctement.
Or, cet article de RMS comporte lui-même, tout du moins en apparence, une flagrante contradiction, qui cependant n'a jamais semblé gêner ni ses partisans, ni ses adversaires, si tant est que les uns et les autres l'aient seulement relevée. En effet, s'il ne peut exister de critique sérieuse englobant l'ensemble de ces droits hétéroclites, alors il devrait même être impossible de porter une quelconque contestation ayant pour objet tous ces droits. Fût-elle d'un parti pris suggérant d'éviter de penser chacun de ces droits par analogie avec les droits de propriété sur les objets physiques.
Cette apparente contradiction demande à être dépassée et la critique même de la notion de « propriété intellectuelle » réclame d'être approfondie. C'est tout l'objet du présent billet et de ceux qui suivront.
2e partie : Archéologie du savoir approprié
3e partie : Le capital imaginaire